I. Le bonheur de respirer
Méditer implique de porter une certaine attention à sa respiration. C’est sans doute, un des aspects les plus connus de la pratique.
Je voudrais ici m’en étonner. Car en effet, si l’on y pense un instant, c’est très étrange. La méditation est une manière de faire la paix avec soi, de vivre une existence plus heureuse, de s’ouvrir à une dimension souvent oublié, abandonnée de nos existences… En quoi tout cela a t-il à voir avec quelque chose d’aussi banal que notre respiration ?
La respiration nous aide à entrer en rapport à notre existence, à nous accorder à elle, à la laisser œuvrer en nous. Et par là, elle est, en effet, un aspect décisif de la méditation.
Cela nous déconcerte et à juste titre. Car nous pensons que se relier à notre respiration est une sorte d’effort, voire de technique. Il faudrait apprendre à mieux respirer, plus amplement, avec le ventre, etc…
Or cela n’est pas là, l’essentiel. L’important est de se mettre au diapason du fait qu’en tant qu’être humain, naturellement, nous respirons.
Nous sommes là dans une toute autre approche.
Respirer est un acte très concret, corporel, tangible, et c’est de cela dont nous avons grandement besoin aujourd’hui.
En portant attention à la respiration, on découvre que cette respiration nous invite et nous porte à être davantage ancré sur terre, ici et maintenant. Par cette manière d’être un avec sa respiration, nos vies gagnent en consistance,
Pour bien entendre ce point, il faut clarifier une grande mécompréhension. Aujourd’hui, dès qu’on parle de respiration, on la réduit à un aspect technique.
II. Quelques exercices de pratique
Attention unifiée
Prenez quelques minutes pour vous asseoir, sur une chaise ou un coussin.
Sentez que vous respirez.
Vous n’avez rien à faire pour respirer. Simplement parce que vous êtes vivant, vous respirez.
Quand vous inspirez, vous inspirez. Quand vous expirez, vous expirez.
La méditation, même si elle s’est laïcisée en Occident, vient de la tradition bouddhique. Il existe de nombreux textes du Bouddha où il dit simplement ceci : « En inspirant, je sais que j’inspire. En expirant, je sais que j’expire. »
C’est cela la pratique. Le Bouddha ne parle pas du salut, de la grâce, du péché, de Dieu mais il dit simplement cela.
Le point qui est important dans cette instruction est de se synchroniser à ce qui est. On prend quelque chose de tout à fait simple, la respiration, pour se synchroniser avec la réalité.
Autrement dit, la respiration est ici le symbole du monde tout entier. En respirant pleinement, on ne fait pas un exercice physique, on s’ouvre à la réalité.
Vous vous identifiez simplement à l’inspiration comme inspiration et à l’expiration comme expiration. C’est simple comme un jeu d’enfant et pourtant, le résultat est fantastique.
Vous inspirez et vous expirez. Vous êtes juste présent à ce qui vous arrive, attentif à ce qui se passe.
On est un peu déconcerté parce qu’on a peu l’habitude de faire l’expérience directe des choses. On a plutôt l’habitude de penser les choses. Or là, il ne s’agit pas de penser la respiration, mais de la sentir.
Ne vous observez pas respirer, respirez simplement.
Ne vous regardez pas respirer, respirez simplement.
Ne prenez pas conscience de votre respiration, respirez simplement.
Vous sentez comment la respiration meut votre corps. Qu’est-ce qu’il se passe quand vous inspirez ? Qu’est-ce qu’il se passe quand vous expirez ?
Grâce à cet exercice on remarque que la pratique consiste à faire attention à sa respiration de manière à être unifié avec elle. Quand j’inspire, je sens que j’inspire. Quand j’expire, je sens que j’expire. L’attention est unifiée.
Attention plus précise
Dans ce deuxième exercice, nous allons essayer de porter attention de manière plus précise encore à notre respiration.
Asseyez-vous. Vos mains sont posées sur vos cuisses. Vous sentez votre verticalité et vous portez attention à votre respiration.
Peut être vous dites-vous : « Quand même c’est assez ennuyeux de porter attention à sa respiration, c’est mieux de regarder une série à la télévision, il se passe plus de choses. »
En réalité, si on est vraiment attentif la respiration, ce n’est pas du tout aussi ennuyeux qu’on pourrait le croire.
Vous pouvez commencer par essayer de sentir comment se manifeste dans votre corps l’inspiration.
Quelles sont les parties de votre corps qui sont mues par l’inspiration ?
Comment se passe l’expiration ?
Est-ce que l’inspiration fait entrer l’air dans vos poumons, dans votre ventre, dans votre dos ?
Je ne vous demande pas du tout de changer votre manière de respirer mais uniquement de porter une attention très précise à la manière dont vous respirez.
Est-ce que vous avez tendance à inspirer par le nez ou par la bouche ? Ou par les deux ?
Est-ce que quand vous inspirez et expirez vous arrivez à sentir la différence de température de l’air quand vous inspirez et quand vous expirez ? Ou est-ce que c’est la même température ?
Pendant quelques minutes, vous pouvez sentir comment la respiration meut votre propre corps.
Il est très important de ne pas vous juger, de ne pas penser qu’il y a quelque chose que vous devriez réussir.
Quand vous voyez que vous êtes partis dans vos pensées, vous revenez à votre respiration en essayant de vraiment sentir ce qui se passe pendant que vous êtes en train d’inspirer et pendant que vous expirez.
Une autre manière de porter une attention précise à votre respiration est d’essayer de remarquer
le début, le déroulement et la fin de votre inspiration. Et puis il y a l’expiration avec son début, son déroulement et sa fin. A la fin de l’expiration, il y a une petite pause et vous inspirez à nouveau.
Et puis vous pouvez sentir qu’il y a plein d’émotions très subtiles liées à la respiration. Vous inspirez, il y a une sorte de pression qui a lieu. Quand vous expirez, il y a un sens de soulagement. A la fin de l’expiration, il y a un léger sentiment d’inconfort, de panique très léger. Et puis il y a un soulagement de l’air qui entre.
Vous pouvez sentir tous ce mouvement du début, du déroulement et de la fin de la respiration et toutes les émotions qui y sont liées. Voilà un autre regard sur ce qu’est la méditation.
Attention symbolique…
Voici une troisième approche de la respiration.
Prenez le temps de vous asseoir. Vous êtes assis au centre de votre coussin ou au devant de votre chaise. Vos mains sont posées sur vos cuisses. Vous sentez votre verticalité. Et vous portez attention à votre respiration. Vous respirez.
Je vous invite à vraiment ne rien faire de particulier. Vous respirez et la respiration a lieu absolument toute seule. Ce n’est pas vous qui avez à respirer. La respiration se fait d’elle-même. Elle va et revient comme les vagues de l’océan.
Ou si vous préférez comme le vent. Vous êtes assis et le vent vous traverse.
Vous n’avez pas besoin de contrôler le vent. Vous pouvez le laisser être. Comme vous pouvez laisser les vagues de l’océan être ce qu’elles sont.
Vous ne faites rien de spécial mais simplement en vous synchronisant avec les vagues de votre respiration ou avec le vent de votre respiration, toute la vie en vous se maintient. Toutes vos fonctions vitales, tous vos organes sont ressourcés par la respiration. Votre corps prend l’oxygène dont il a besoin et rejette tout ce dont il n’a pas besoin. Tout se fait de manière harmonieuse et heureuse. Vous n’avez rien à faire de particulier. Quelque chose se fait tout seul et cela vous garde et vous porte.
Vous laissez la respiration devenir comme des vagues amples qui vous rassérènent simplement. Ces vagues sont peut être tout à fait simples et douces, peut être plus grandes, peut être encore tout autrement. Vous sentez comment elles animent tout votre corps.
Et vous pouvez simplement faire confiance dans ce mouvement tellement vivant et ample de la respiration.
Ces quelques exercices permettent de découvrir ce qu’est l’attention et comment le fait de porter attention à la respiration nous rend présent.
III. À la découverte du don propre à notre souffle
L’énigme de l’attention
Au cœur de l’attention se trouve une profonde énigme — pour pouvoir faire attention, il faut ne pas « vouloir » faire attention. En effet, dès qu’on « veut » faire attention, on n’y arrive pas.
Pour faire vraiment attention, on est obligé de lâcher la volonté, d’abandonner l’effort tendu et crispé qui cherche à faire attention.
Jean-Paul Sartre, dans L’Être et le néant, décrit très simplement le problème : « L’élève attentif qui veut être attentif, l’œil rivé sur le maître, les oreilles grandes ouvertes, s’épuise à ce point à jouer l’attentif qu’il finit par ne plus rien écouter ». (Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, Gallimard)
C’est exactement cela la bizarrerie de l’attention.
Si vous êtes enseignant et que voulez réussir à ce que vos élèves ne vous écoutent pas, dites-leur : « Soyez attentif ! ». Ils vont aussitôt décrocher.
Si vous voulez qu’ils soient attentifs, cherchez plutôt à éveiller leur curiosité, à les intéresser, à faire en sorte qu’ils regardent avec enthousiasme des choses qu’ils n’avaient pas vu de cette manière avant.
Le même phénomène a lieu lorsqu’on cherche à s’endormir et qu’on n’y arrive pas. On sait tous que si l’on se dit : « Maintenant il faut que je dorme ! » cela ne marche pas. On ne peut pas décider de dormir. Au contraire, on réussit à s’endormir à mesure qu’on laisse notre corps qui veut dormir s’endormir.
C’est le même paradoxe : pour réussir à s’endormir, il faut, à un moment, arrêter de vouloir dormir.
Dans la pratique de la méditation, c’est pareil. On ne se dit pas : « Je dois être attentif au souffle ! » mais on s’intéresse à la respiration. On devient vraiment curieux pour mieux voir des points de détails auquel on ne s’attendait pas ou qu’on ne voyait pas avant, apparaitre. C’est cette attitude curieuse qui ouvre notre attention. Ainsi, on découvre dans la pratique que ce n’est pas en se concentrant ou en se crispant sur notre respiration que notre attention se déploie mais en se foutant la paix.
C’est très déconcertant pour nous parce que souvent, on pense que si on se fout la paix, on ne va plus rien faire. Or, c’est le contraire.
Plus vous voulez être attentif, moins vous l’êtes.
Plus vous voulez réussir, moins vous y arrivez. Plus vous voulez contrôler, plus l’attention vous échappe. Il faut arrêter et se foutre la paix si l’on veut réussir à être attentif. Ce point est très peu compris aujourd’hui et pourtant c’est le cœur de l’expérience méditative.
Sartre explique ce paradoxe en disant que l’attention doit être distraite de l’effort pour être attentif. C’est pour cela qu’il allait au Deux Magots pour écrire ses livres. Il s’y rendait pour être distrait, parce qu’en étant distrait, il était plus concentré. Même si je ne vous conseille pas forcément d’aller au café pour être attentif, c’est bien d’entendre en quoi cela peut être une possibilité…
Autrement dit, pour être attentif, il faut commencer par se foutre la paix !
Pour résumer, on est attentif lorsqu’on arrive à court-circuiter l’effort ou la volonté qui nous en empêche. Dès qu’on cherche à bien pratiquer, on ne pratique plus. Dès qu’on se fout la paix, l’attention véritable se déploie.
Devenir un avec le souffle
Dans la pratique, on se met à l’écoute de la respiration, on s’unifie à elle. Faire attention à notre respiration c’est se synchroniser à elle. Plutôt que de chercher à contrôler quoi que ce soit, on apprend à faire un avec ce qui est.
En ce sens, méditer c’est se libérer de l’enfer de la conscience.
C’est vraiment tout à fait malheureux qu’en France, la méditation a fini par s’appeler « pleine conscience ». Quand je dis cela, je ne critique pas les personnes qui enseignent la Pleine Conscience mais je dénonce la manière de nommer la méditation « pleine conscience » car cela me semble une trahison du sens même de la pratique qui est justement de nous libérer de la conscience.
Tous les Anglo-Saxons qui enseignent la méditation insistent bien : « meditation is mindfulness and not consciousness. » Pourquoi alors avoir traduit « mindfulness » par « pleine conscience » ? Cela n’a pas de sens. En effet, Jon Kabat-Zinn, qui a énormément travaillé à forger une certaine forme de méditation qu’il a nommée « mindfulness » explique partout que méditer c’est se libérer de la conscience, s’ouvrir, rencontrer son expérience. Or en France, des éditeurs ont appelé cela « pleine conscience », alors que l’on sait bien que la conscience peut être un poison…
Dans le cadre de mon travail, je parlais dernièrement avec une éditrice. Elle m’expliquait qu’elle a beaucoup travaillé avec un jeune romancier très talentueux mais qui dans son livre avait encore beaucoup trop conscience de lui-même. Son travail fut de l’aider à la perdre et à rendre par là son ouvrage moins lourd et plus palpitant. Effectivement, quelqu’un qui parle ou écrit en étant conscient de lui-même vous écrase. Il fait barrage entre lui et ce qu’il voudrait dire ou montrer.
La sortie de la conscience de soi est toujours une libération, une grâce.
Méditer, c’est apprendre à être libre de la conscience et de regagner la spontanéité, cette intégration avec ce qu’on sent et ce qui se passe.
Pourquoi fait-on attention à la respiration ?
– Un pont entre le corps et l’esprit
Si on porte attention à la respiration c’est parce qu’elle est un excellent pont entre le corps et l’esprit. En portant attention à la respiration, on réintègre notre esprit avec le corps et le corps se réintègre à notre esprit.
Notre respiration est le reflet de notre esprit, une image de notre propre être. Quand on est angoissé, notre respiration est plus courte. Quand on est détendu, elle est plus ample.
En portant attention à notre respiration, on retrouve cette unité de notre être, cette unité du corps et de l’esprit, de manière très simple.
Plus profondément, la respiration est l’architecture de notre existence.
En respirant, on se redresse. Ainsi, la respiration structure notre corps : y porter attention permet de sentir combien la respiration nous tient, nous soutient.
– Un rendez-vous intime avec notre propre vie
Une autre raison de porter attention à la respiration est qu’elle est la vie même. On pourrait dire que méditer c’est comme prendre un rendez-vous avec la vie. En portant attention à la respiration, on s’intègre à sa vie tout entière. La respiration nous maintient en vie et c’est très beau de sentir comment simplement parce que l’on respire, on est pleinement vivant. Tant que l’on est vivant, on respire. Ainsi, en se synchronisant à notre respiration, on laisse la vie œuvrer en nous, on lui redonne pleinement droit.
– S’ouvrir
Et pour finir, on porte attention à la respiration parce qu’elle permet de nous ouvrir très profondément à ce qui est plus vaste.
En portant attention à la respiration, on découvre qu’elle nous nous mêle à l’espace.
Quand on inspire, on inspire l’air de l’espace.
Quand on expire, on expire l’air dans l’espace. La respiration nous sort de nous-mêmes et nous mêle à ce qui est ouvert, à une dimension plus vaste de présence. Cela se fait tout seul. Juste parce qu’on porte attention à la respiration, on ne peut pas faire autrement que de sortir de soi, on est d’emblée invité à faire ce mouvement d’ouverture. Quand vous expirez, vous sortez de vous.
Vous le voyez : méditer, à l’inverse de ce qu’on explique partout, n’est pas un travail d’introspection. Méditer n’est pas se regarder le nombril mais s’ouvrir au chant du monde.