« Moment béni que celui où on se décide, où on s’engage à aimer désormais de toute sa force et imperturbablement ce que l’on craint le plus, ce qui nous fait, d’après notre mesure à nous, trop souffrir. »
Cette phrase de Rilke est folle ! Pourquoi ferions-nous cela ? Pourquoi devrions-nous dire « oui » à ce qui nous est pénible ?
Si nous réfléchissons un tant soit peu, nous ne pouvons que dire non. En fait, nous avons toutes les bonnes raisons de dire non ! La réalité n’est jamais satisfaisante, il y a toujours quelque chose qui fait défaut. Pourquoi dire « oui » ?
Non, je ne veux pas qu’il pleuve, je ne veux pas qu’il refuse ma demande, je ne veux pas tomber malade, je ne veux pas que mon père soit aussi borné, que mon fils soit aussi peu généreux, je ne veux pas être aussi fatigué…
Malheureusement, une telle attitude nous fait entrer dans un combat contre la réalité perdu d’avance.
Dire non à la pluie, ce n’est pas la faire cesser, mais entrer dans un état de frustration, de colère ou de dépit.
Ce « oui », dont toutes les sagesses parlent, permet de surmonter ce que Nietzsche, de manière tellement profonde, nomme le ressentiment. Le ressentiment ne nous apporte rien. Il est le refus de la vie en soi. C’est lui que Baudelaire veut surmonter : « Ah ! Seigneur, donnez-moi la force et le courage / De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût ».
Surmonter ce qui, en nous, refuse la réalité et la vie, voilà tout le sens de la méditation qui nous apprend à laisser venir en nous ce oui premier.
C’est pourquoi, contre la logique, contre nos habitudes, la sagesse authentique nous invite à apprendre à dire « oui » à ce qui est.
En un certain sens, on n’a pas le droit de demander à quiconque une chose pareille ; on ne peut inviter personne à dire « oui » au terrible quand le terrible se présente. Et pourtant, il n’y a pas d’autre chemin pour nous autres les êtres humains, si nous voulons cesser de nous taper la tête contre les murs.
La pseudo-gentillesse qui consiste à vouloir consoler celui qui souffre ne fait que l’enfermer dans son malheur au lieu de lui montrer les conditions de sa libération.
Aimer — même ce que l’on craint le plus
Le texte de Rilke est déstabilisant car il invite à aimer ce qui est difficile. Et en effet, ce n’est que par amour que l’on peut trouver le souffle de dire oui, de surmonter ainsi les contradictions apparentes, les bonnes raisons et les bons sentiments.
C’est là le ressort des contes de fées. La bête est bête tant que la belle ne lui a pas dit « oui ». Alors l’effroi se transforme. La bête cesse d’être aussi effrayante. Au fond, quand on aime quelqu’un, on lui dit « oui » ! Un tel « oui » vient d’un lieu en nous plus profond que celui de notre réflexion ordinaire. C’est ce lieu que la méditation peut nous aider à retrouver.
Quand une mère dit « oui » à son enfant qui vient de naître, elle ne dit pas « oui » aux moments de bonheur et non à tous les moments où il pleurera. Elle dit « oui » à son enfant et c’est un « oui » qui transcende absolument tous les calculs personnels. C’est un « oui » sans raison, un « oui » qui la dépasse, un « oui » qu’elle n’a pas même besoin de formuler. C’est un « oui » plus grand qu’elle.
L’esprit qui pèse, soupèse, réfléchit est incapable d’un tel saut.
Qu’apprenons-nous en méditant ? A trouver le lieu de dire ce oui. Vous êtes là. Vous êtes assis sur la terre. Vous laissez votre être dire « oui ». Vous coïncidez à la réalité. Vous ne faites rien. Vous vous ouvrez à ce qui est sans raison, sans chercher à le comprendre.
C’est là la raison d’être des méditations sur l’amour bienveillant. L’amour au sens ordinaire exige, demande, veut. Parce que je t’aime, je veux que tu correspondes à mes attentes, mes désirs, mes projets… Là est la raison qui fait que tant d’amours sont écrasants.
Mais l’amour bienveillant, lui, ne sait que dire « oui ». Il est cet accueil qui vient d’ailleurs. Il est la belle qui en soi consent sans savoir ni comment ni pourquoi. Simplement parce qu’elle est mue au plus profond d’elle par un souffle plus grand qu’elle.
Il nous faut retrouver cet amour bienveillant !
Un oui absurde et nécessaire
Dire un tel « oui » ne veut pas dire accepter l’inacceptable mais s’ouvrir entièrement, à neuf, à la réalité. En ce sens, si l’on veut être précis, on ne dit pas « oui », on fait ce qu’il faut pour qu’un « oui » naisse en nous comme l’indique Franz Kafka :
« Violente averse. Mets-toi face à la pluie, laisse ses rayons de fer te pénétrer, glisse dans l’eau qui veut t’emporter, mais ne bouge pas, reste droit et attends le soleil qui va couler à flots, subitement et sans fin. »
Ce que nous avons à faire, c’est de nous tenir comme il faut. Et c’est pourquoi ici la méditation est si précieuse. Elle nous pose au bon endroit.
Nous avons mal quelque part. Pourquoi dire « oui » à cette douleur ? Pourquoi entrer en rapport à elle ? Pourquoi essayer d’entrer en rapport à ce qui arrive ? On pourrait à la place chercher à vivre une vie plus confortable, à l’abri de tout inconfort.
Mais Kafka le dit, chercher le confort, chercher à fuir la pluie, c’est refuser la vie. Ne pas prendre le risque d’entrer en rapport à ce qui nous fait mal c’est chercher à vivre en crispant la vie, en la nécrosant. Et cela ne nous abrite de rien mais nous rend toujours plus malheureux.
Tout l’enjeu est d’apprendre ce oui qui vient comme un geste d’amour, un geste à même de transformer ce qui est blessé en nous.
L’essentiel de mon engagement est la transmission de la pratique de l’amour bienveillant. Je suis convaincu que là est le baume qui peut apaiser nos cœurs et nous ouvrir à une vie plus ample, riche et apaisée. Que c’est par là que nous pourrions retrouver le sens profond d’être relié à la vie dans sa générosité profonde. Que c’est cette bienveillance qui peut nous permettre de surmonter notre peur.
Nous en avons tant besoin. Qui n’a pas constaté la dureté avec laquelle nous nous traitons ? Qui n’a pas été un jour frappé par le ressentiment, la colère même qui nous habite, qui nous conduit à nous en vouloir, à nous juger sévèrement si ce n’est même cruellement. Or il existe une forme de méditation qui malgré sa grande simplicité permet de retrouver le chemin de notre cœur.
Lors de la journée du 2 octobre je ferai une présentation de cette pratique – de ces pratiques faudrait-il dire.
Au travers d’une série de méditations guidées, j’aime désormais présenter un cycle qui permet de toucher divers aspects de cette bienveillance à même de tout transformer.
1. Peut-on apprendre la bienveillance ? Comment une méditation peut permettre de faire naître et croître de la bienveillance en soi ?
2. Comment reconnaître la bienveillance en se foutant la paix ? Comment s’articule la pratique de la pleine présence (mindfulness) et celle de l’amour bienveillant ?
3. Comment devenir comme la Belle qui par amour réussit à dire « oui » à la bête et la libère ainsi du sort qui la rendait si laide et isolée ?
4. Les quatre approches pour entrer en amitié avec soi et surmonter la gêne, l’indignité, la honte et la culpabilité
5. Pourquoi avons-nous tant de mal à avoir de l’amitié envers nous-même ? Les quatre pièges.
6. Guérir l’enfant blessé en soi
7. À la découverte de la bienveillance qui nous permet de retrouver un lien heureux avec soi, les autres et le monde tout entier.
Vous pouvez voir les tableaux de Fantin-Latour que j’ai photographiés pour cette lettre dans l’exposition qui ouvre aujourd’hui au Musée du Luxembourg à Paris.
(jusqu’au 12 Février 2017)
Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation