Vœu de refuge et vœu de bodhisattva
« Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, qui tient éveillés le courage et le silence. »
René Char, Feuillets d’Hypnos
Au sein de l’Ecole, l’accent est mis avant tout sur la transmission de la pratique de la méditation.
Qu’est-ce que la méditation ? Comment s’y consacrer et y être formé avec précision, rigueur et ampleur de vue ? Comment éviter de la caricaturer ne la considérant comme outil pour « gérer » son stress — et ne devient alors qu’un outil de plus au service de la barbarie actuelle.
Car si la méditation a un sens, ce n’est pas celui de nous apprendre à tout « dominer », à tout « gérer » mais à celui de nous ouvrir à l’inconnu qu’est déjà notre propre existence et plus, amplement, à la vulnérabilité du monde et à la fragilité de tous les êtres qui y vivent.
Non pas nier cette vulnérabilité, dans une gestion totale, voire totalitaire, de tout ce qui est, mais en prendre soin !
Déployer un rapport non religieux au bouddhisme
La méditation vient de la tradition bouddhique qui offre un socle inouï d’intelligence de l’esprit et du cœur humain.
On peut avoir un rapport au bouddhisme qui soit religieux ou non. La chose reste mal comprise.
Un rapport religieux implique de suivre des rites, de croire à des notions comme les vies antérieures, la rétribution des actes ou le karma… Le point commun à ces notions est qu’elles ne donnent pas lieu à une expérience directe, mais qu’elles reposent sur un acte de foi et surtout sur l’autorité d’un magistère. Le religieux implique par ailleurs une organisation sociale forte — que ce soit sous forme d’Eglises avec une hiérarchie bien établie et ses officiants autorisés comme les prêtres. Il n’est du reste pas du tout certain, comme le souligne par exemple le théologien Karl Barth, que même la foi chrétienne puisse être comprise à partir du religieux — c’est-à-dire puisse être comprise tant qu’on la voit noyée au milieu de structures sociales et culturelles.
L’exemple du Bouddha est sans doute encore plus évident. Le bouddha était un homme, non un dieu, et les enseignements qu’il a laissés sont basés sur une approche expérientielle extrêmement fine des phénomènes. On peut donc marcher dans les pas du Bouddha en suivant un chemin non religieux — ne reposant ni sur un acte de foi, ni sur la dépendance à des structures sociales.
Telle est l’approche présentée au sein de l’Ecole occidentale de méditation.
Nous nous appuyons sur la tradition bouddhique en cherchant toujours à écouter la résonnance qu’elle peut donner à notre propre expérience.
Nous sommes ainsi fidèles à la perspective philosophique telle que l’Occident l’a déployée depuis les Grecs et qui implique de mettre au premier rang l’examen de toute doctrine, avant de l’accepter.
Prenons par exemple la mort. Les religions montrent qu’elle n’est qu’un passage et nous exposent ce qui nous attend après. Les athées affirment pour leur part qu’il n’existe rien après.
Mais il est possible de ne pas entrer dans cette discussion religieuse et de considérer plutôt ce que nous pouvons découvrir dans notre existence : en tant qu’être humain je suis « mortel », en rapport à ma propre mort. Et ce rapport donne sa tonalité à toute mon existence. Heidegger et Rilke soulignent en ce sens, que la grandeur de l’existence humaine, se mesure à la grandeur du rapport que nous ouvrons à la mort — qui implique de l’assumer et de la porter.
L’expérience non religieuse du bouddhisme implique d’apprendre par lui à soutenir cette indépassable possibilité qu’est la mort, là où la dimension religieuse mettra d’abord l’accent sur son dépassement.
Nous retrouvons aussi, par cet engagement à se relier au bouddhisme d’une manière non-religieuse, l’approche initiatique et symbolique que rappelle par exemple Dante dans Le Banquet . Il souligne qu’il existe deux lectures possibles d’un texte : une lecture littérale et une lecture symbolique. Ainsi, le récit de La divine comédie peut-être lu de façon immédiate, au premier degré : l’histoire d’un homme enfermé dans une forêt, essayant de s’échapper.
On peut aussi y lire le récit du chemin que Dante a accompli et qu’il nous invite à faire à notre tour au moment même où nous lisons son texte. La forêt représente l’obscurité de notre propre être, que nous traversons pour entrer dans l’enfer de notre existence, à savoir ce qui refuse l’ouverture et la bienveillance, traversée qui nous permet de rencontrer la rose de l’amour que Dante appelle le paradis.
Ce chemin-là, même s’il contient des éléments chrétiens — mais aussi gréco-romains — , ne repose pas sur une doctrine chrétienne ou religieuse. Vous pouvez lire Dante aujourd’hui avec émerveillement sans croire que le Christ est ressuscité et a vaincu la mort. Si Dante ne rejette en rien le christianisme de son temps, il n’en présente cependant pas une lecture religieuse.
Se trouve ici une indication précieuse pour le travail que nous avons à faire dans l’Ecole — entrer dans le bouddhisme avec cette intelligence qui nous permet de nous appuyer sur lui pour éprouver plus clairement notre propre existence et le monde.
La poésie est ici précieuse — car elle est ce questionnement toujours neuf de ce qui nous dépasse, en assumant qu’il nous dépasse. Dante en témoigne. Comme tout grand poète, il œuvre au sein de cette dimension non religieuse qui est pourtant profondément spirituelle.
Certes cette perspective est subtile et je comprends qu’elle déconcerte.
Il serait plus facile de rejeter la tradition comme le fait généralement notre temps ou à l’inverse de la suivre scrupuleusement.
Et en effet, aujourd’hui, soit nous pouvons découvrir la pratique de la méditation dans des centres bouddhistes qui sont souvent très religieux, soit nous pouvons recevoir des présentations édulcorées de la pratique.
Mais là n’est pas notre approche.
La méditation est présentée en s’appuyant sur les grands textes — non d’une façon religieuse en les considérant comme parole de vérité qu’il faut suivre pour être sauvé, mais comme des textes à interroger et qui en retour nous interrogent. Tel fut le génie de Chögyam Trungpa en invitant l’Occident à suivre cette approche neuve.
Le rapport au bouddhisme que je présente dans l’Ecole pourrait être qualifié de méditatif, initiatique ou traditionnel.
Méditatif — car il s’agit d’écouter ses textes, de les laisser résonner en soi, sans à priori.
Initiatique — car avant toute chose, le bouddhisme, loin d’être une doctrine, est ce qui montre un chemin, un chemin qui comme tout chemin aide à entrer en rapport à ce qui est, configurant un pays que nous pouvons traverser.
Traditionnel — au sens où une transmission a lieu. Je n’enseigne pas des idées que j’ai pu avoir, des découvertes personnelles que j’ai pu faire, mais je m’efface devant une expérience qui est plus vaste que moi-même et que j’ai simplement reçue.
Prendre un vœu
Le chemin que dessine le bouddhisme passe par deux engagements décisifs pour toute pratique méditative
- l’engagement dans la présence ou pleine conscience pour reprendre l’expression de Thich Nhat Hanh et de Kabat-Zinn.
- l’engagement dans la bienveillance aimante.
Dans l’Ecole, l’enseignement porte d’une part sur la découverte de cette présence ouverte et vivante dans laquelle il est possible de se poser, et d’autre part sur un entraînement du cœur à se dégeler, à s’exposer pour pouvoir irradier dans une sobre ampleur. C’est ce qui m’a conduit, par exemple, à écrire Risquer la liberté puis Et si de l’amour on ne savait rien qui présente chacun un de ces deux axes —axes que j’ai réunis ensuite dans La tendresse du monde, l’art d’être vulnérable.
Ces deux axes, le bouddhisme les éclaire d’abord au travers d’un grand de nombre de pratiques qui sont autant de formes méditatives. C’est là l’essentiel.
Mais il existe un autre aspect que je trouve particulièrement aidant : le fait de prendre un vœu, c’est-à-dire de prendre acte d’un engagement, poser une pierre blanche sur ce chemin qui fait qu’il y a un « avant » et un « après ». Le vœu est un moment de passage qui éclaire de façon très profonde tout à la fois notre être et le sens du chemin.
C’est lors de la deuxième partie du séminaire d’été que je présence cette perspective.
La première partie est consacrée à la découverte de la pratique de la méditation dans sa plus grande simplicité. Comme lors des soirées du mercredi, il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail de l’ancrage bouddhique. Il faut commencer par se poser, comprendre la manière dont la pratique peut nous aider concrètement.
La seconde partie nous fait entrer dans la voie bouddhiste — avec la perspective non religieuse qui signe l’approche de l’Ecole.
Abandonner le piège de la volonté
La notion de « vœu » fait résistance en Occident, j’en ai bien conscience. Notre temps ne comprend plus de quoi relève ce terme qui, du coup, lui semble archaïque. Pour mieux en comprendre le sens, il faut distinguer la conception bouddhique de vœu, de celle de volonté propre à l’Occident des Temps Nouveaux. Ce sont là deux manières de penser la liberté d’un être humain.
Pour l’Occidental, la question de la liberté est celle du choix : « « je choisis ceci plutôt que cela ». Je suis libre, parce que je peux choisir ceci plutôt que cela.
Dans le bouddhisme — et plus largement en Orient, je suis libre si je peux m’engager profondément dans quelque chose qui fait chemin pour moi.
Ainsi, en Occident ; la question décisive est celle de la volonté : (« je veux ceci » / « je choisis ceci ») qui vient se cristalliser dans la question du libre-arbitre : « puis-je me déterminer à partir de ce que je décide ? »
En Orient, l’essentiel est d’arriver à se tenir fermement sur la voie de son engagement. La question ici n’est pas d’être libre ou non au sens de choisir, mais de pouvoir s’émanciper de l’errance.
En caricaturant, pour l’Occident actuel, prendre un vœu, c’est perdre sa liberté, puisque je suis alors tenu par ce à quoi je me suis engagé. Pour l’Orient, le choix occidental est une négation de la liberté car vouloir une chemise bleu plutôt qu’une chemise rose, partir à Rome ou à Berlin, acheter un MacDonald ou un Burger King, ne signifie rien.
Comment peut-on entendre la notion de vœu ?
Si l’Occident est devenu réfractaire à la notion de vœu à mesure qu’il plaçait la question de l’engagement dans l’ordre de la volonté, il en connaît cependant encore certaines formes. C’est le cas par exemple du mariage. Se marier, c’est prendre un engagement envers ce qui sera — et que je ne peux donc pas d’avance connaître, décider, et dominer.
Par le vœu de mariage — je reconnais ce qui me lie avec la personne aimée et pour préserver ce lien, je m’engage sur un chemin: « je me confie au chemin qui va garder ce lien vivant jour après jour ».
J’y ai souvent insisté, mais comment comprendre la relation de couple sans penser la question du vœu ? Comment réussir autrement à passer de la fugacité du désir, de l’accointance du goût à ce qui ouvre un véritable chemin — seul à même de garder la vérité de l’amour (que Hegel en philosophe nomme le passage de la subjectivité à l’objectivité)?
A la source de tout vœu est la découverte d’un lien profond qui existe déjà, et qui éclaire notre existence — cette source est l’origine qu’il nous faut, dans cette perspective, apprendre à garder et à préserver.
Vivre dans l’esprit du vœu, c’est vivre en gardant vivant cette source décisive que j’ai reconnue comme étant à même d’éclairer pour de bon mon existence et lui donner une direction réelle et juste. Lui permettre de croitre et de se développer.
Je crois que nous devrions pour cette raison prendre des vœux non seulement entre époux, mais entre amis, et dans la relation de transmission…
Prenons un exemple encore plus simple.
Nommer son enfant, c’est l’abriter dans un nom qui a une signification et une histoire. Le nom donne une direction de vie à l’enfant qui le porte.
Ce geste, dans la perspective actuelle, peut sembler profondément irrationnel : je nomme ce que je ne connais pas encore — car évidemment je nomme cet enfant qui vient de naître avant de savoir ce qu’il va devenir. J’ouvre un chemin sans savoir d’avance où il va conduire !
Et pourtant, ce moment est décisif. Ne pas nommer son enfant, ne serait pas lui conférer une liberté plus grande, mais l’en priver.
Or, et là est l’essentiel, tout vœu réel a à voir avec ce geste de nomination car il donne lui aussi une direction à notre existence.
L’épreuve d’une existence qui s’engage et se risque
En prenant un vœu, je fais que mon existence devienne une mise à l’épreuve. L’Occident l’a oublié mais cette perspective le transit pourtant lorsque le Christ dit « je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive ». En d’autres termes, là où il y a chemin, il y a épreuve. Le glaive que mentionne le Christ n’est pas l’arme de combat mais le support du guerrier dont parle Chögyam Trungpa. Ce glaive nous aide à assumer l’épreuve et nous engage à tenir ce que nous avons reconnu qui se destine à nous.
Comment puis-je garder ce qui importe et ouvre chemin ? — voilà la question majeure qui me fait entrer dans la liberté réelle.
Ceux qui ont tous les choix, ne s’engagent du coup jamais, faute d’accepter de perdre des possibles, et ils ne font en réalité rien de conséquent. Prenons l’exemple d’un peintre. Un peintre est d’autant plus grand qu’il a renoncé à de nombreux possibles pour trouver un chemin qui soit le sien en propre.
L’épreuve consiste certes à traverser un péril mais par là je suis aussi, peu à peu, posé en mon être, devenant qui je suis. Le latin probe d’où vient épreuve — signifie justement ce qui densifie, donne de la gravité. L’épreuve consiste à prendre du poids, à faire par exemple que sa parole et son jugement tiennent solidement.
La probation était chez les romains cette étape qui fait qu’un homme devenait un plein citoyen — c’est-à-dire un homme libre reconnu comme tel par ses pairs au sein de la cité.
Prendre un vœu, c’est prononcer une parole d’homme libre, c’est-à-dire faire un des actes les plus purs de la liberté : s’engager par rapport à soi-même.
Etrange paradoxe : le souci de prendre un vœu seul importe, puisqu’il ne peut pas être pris en vue d’un résultat. On prend le vœu parce que l’on se sent engagé par lui, qu’il nous regarde profondément.
Nous voyons bien ici que le sens du vœu a structuré non seulement la pensée bouddhique mais aussi la pensée Occidentale jusqu’à l’époque des Temps Nouveaux qui a alors déplacé l’axe de l’engagement en l’orientant vers la seule volonté de décider ceci plutôt que cela. J’espère ici montrer pourquoi le fait de prendre un vœu, loin d’être un acte oriental qui nous serait inconnu, a des racines très profondes dans notre propre histoire et qu’il ne semble s’opposer à la liberté qu’à partir d’une compréhension tardive et restreinte de la liberté comme volonté.
Prendre refuge dans l’ouvert
Le vœu primordial dans le bouddhisme est le « vœu de refuge ». C’est une nomination paradoxale car il s’agit de prendre refuge dans l’ouverture la plus grande, là où, dans ma vie habituelle, je me réfugie au sein d’abris illusoires : l’argent, le statut social, la relation affective, le confort matériel, l’adhésion à un parti politique, l’acceptation d’une idéologie… Autrement dit, ce vœu engage le pratiquant à prendre refuge dans l’absence de tout refuge…Nous pouvons certes chercher à gagner de l’argent, à être reconnu, à vivre des relations amoureuses intenses, à fonder une famille, à devenir Député… Mais là n’est pas le refuge où abriter notre existence.
Le refuge est pensé à partir de l’exemple du Bouddha qui se tient solidement en son être, de son enseignement qui montre comment suivre à son tour cette voie et de la communauté qui nous permet de la vivre.
Le « vœu de refuge » a pour dessein de préserver ce qui a été découvert dans la pratique de la méditation : cette ouverture plus vaste que nos calculs habituels, plus rayonnante que nos peurs et espoirs.
En ce sens, le vœu est une aide très profonde pour garder la présence ouverte, qui n’est alors plus juste remise au hasard de notre pratique.
Prendre ce vœu aide très concrètement et simplement à permettre à l’espace de notre pratique d’irradier dans chacune de nos activités.
Nous acceptons par là d’être gardé par quelque chose de plus vaste que notre seul caprice. C’est un soulagement magnifique.
Le Vœu de Bodhisattva ou parier pour la grandeur
Le monde souffre et notre méditation ne peut pas y rester insensible. Il ne faut donc pas seulement être posé dans le présent et découvrir un sens de paix, mais il importe aussi d’ouvrir notre cœur et de le laisser irradier.
La tradition bouddhiste, basée sur l’intelligence de l’expérience, débute par le vœu de refuge. La prise de refuge est la proclamation que nous souhaitons vivre au sein de la présence ouverte, et que nous sommes prêts à assumer ce choix. A faire de cette décision l’épreuve, le passage qui donnera à notre existence son poids.
A partir de cette première étape, il devient possible de prendre le vœu de bodhisattva — c’est à dire celui de souhaiter être bénéfique à tous les êtres.
Autrement dit, je peux alors m’ouvrir aux autres sans que cela soit un projet de plus. Il ne s’agit pas de vouloir aider les autres mais de laisser place à une radiation confiante de cette présence qui devient, peu à peu, présence offerte aux autres pour leur bénéfice.
C’est par manque de compréhension de cet état d’ouverture chaleureuse qui existe d’elle-même, que notre rapport à la bonté, à la compassion, à la bienveillance est aussi peu clair. Une pensée commune voudrait que l’on s’occupe des autres, que l’on soit moins égoïste, mais ce mouvement reste ancré dans un moralisme où l’aide à autrui se résume à un devoir.
Dans le cadre du « vœu du bodhisattva », il s’agit de donner du sens à sa vie à partir d’un engagement au service de l’humanité. Le mot « bodhisattva » pourrait se traduire par « le héros qui veut garder un cœur ouvert et chaleureux». Autrement dit, ce vœu implique d’être celui qui, sans avoir peur d’un certain héroïsme, garde son cœur vivant, vibrant, ouvert et tendre. L’idée ici est qu’aider les autres c’est, avant tout, ne pas les considérer comme séparés de nous mais au contraire retrouver l’unité harmonieuse qui nous relie les uns aux autres.
L’une des très belles formulations du vœu est celle-ci :
Il est impossible de dénombrer tous les êtres et je fais le voeu de les libérer tous
Il est impossible d'éteindre le brasier des illusions et je fais le voeu de les faire cesser toutes, jusqu'à la racine du feu.
Il est impossible de connaitre toutes les portes du Dharma et je fais le voeu de les franchir toutes
Il est impossible de mesurer le chemin de l'Eveillé et je fais le voeu de l'accomplir en entier.
QUESTIONS
Question : J’ai une résistance face à votre propos. Dans mon expérience, quand je prends une bonne résolution, par exemple celle de faire un régime, je prends 3 kg !
Fabrice :
On peut vouloir maigrir mais on ne peut pas prendre, au sens strict, le vœu de maigrir !
C’est une occasion de repréciser que le vœu ouvre un chemin que l’on veut « garder » parce qu’il vous met en rapport à la vérité de votre être —et non pas parce qu’il va vous permettre de réaliser un objectif. Et les vœux bouddhistes sont par principes irréalisables — nous ne serons pas toujours dans la pure présence ni ouverts parfaitement à tous les êtres.
Vous décider de prendre le vœu de refuge — c’est-à-dire de vous engager dans la présence telle que l’a manifestée le Bouddha, tel qu’il l’a enseignée et telle que la communauté la garde. Vous le faites uniquement car vous reconnaissez dans votre pratique que cette présence ouverte et non centrée sur le « Moi-moi-même-et-encore-moi » permet à votre être de trouver sa véritable assise.
Pourtant, au fil de votre quotidien, vous allez l’oublier. Le vœu joue son rôle de gardien en vous appelant à revenir à elle. Le mouvement ici est le même que dans la pratique : vous êtes présent, vous pensez à autre chose, vous ne vous en voulez pas. Mais après avoir pris conscience que vous étiez parti vous revenez au souffle avec bienveillance.
Cette expérience de sortie du présent n’est pas signe que votre pratique est mauvaise. Le fait d’oublier votre vœu n’est pas non plus un problème.
Le vœu est un rappel qui vous aide à vous souvenir de qui vous êtes.
Question : La notion de cérémonie, dans mes souvenirs, me ramène à un espace d’ordre religieux et non laïc. Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
Fabrice : Je ne peux rien dire de vos souvenirs mais il faut ici être précis : rattacher l’idée de cérémonie au religieux n’est pas tenable.
Il existe de nombreuses cérémonies qui ne sont pas religieuses. J’ai un jour assisté à la nomination d’un de mes amis à un poste imminent à la Cour des Comptes. C’est une cérémonie très solennelle et très belle — elle n’a rien de religieuse. A y regarder de plus près, la vie de la République française, comme de tout Etat, repose sur un nombre considérable de rituels qui donnent du sens à la réalité. Les cérémonies appartiennent au socle même de l’existence de nos Républiques qui se sont fondées en refusant d’être dépendante de la sphère religieuse.
Que fait le rituel ? Il sort de l’immédiateté de la subjectivité en montrant qu’il y a quelque chose qui fait sens.
Il est par exemple important d’accompagner la croissance de vos enfants par des cérémonies comme la fête d’anniversaire. Une cérémonie est un procédé symbolique pour dire quelque chose qui est souvent plus clair et marquant que des paroles. Quelque chose se marque dans le réel qui est riche de sens. Les enfants comprennent bien ce langage.
Dans cet esprit, je trouve qu’il est bon d’avoir un sapin de Noël car au moment où la nuit est la plus longue dans l’année, il est beau d’éclairer la maison pour dire que, même au sein de la nuit la plus profonde, la lumière va revenir — aussi bien au sens tout littéral que spirituel. On pourrait aussi parler du symbolisme magnifique de la petite souris qui vient chercher les dents de lait des enfants…
Pour les adolescents, la disparition des rites de passages est un vrai problème aujourd’hui car il n’existe plus de moments où leur est donné l’autorisation de quitter l’espace familial pour advenir comme adulte à part entière. La conséquence est que l’on se retrouve avec des adolescents âgés de 30 ans n’arrivant toujours pas à accéder à l’âge adulte.
Refuser le rite c’est refuser la dimension symbolique de l’existence. Or personne ne peut vivre sans cette dimension. Le prétendre est le projet du management, qui veut que tout soit transparent dans l’échange économique.
Question : Quand prendre le vœu et comment savoir que c’est le bon moment ?
Fabrice :
Pour prendre le vœu de refuge, il importe d’avoir pratiqué la méditation pendant un certain temps et ainsi d’avoir pris conscience que l’on souhaite garder cette expérience-là. C’est cela l’engagement pris dans le vœu de refuge. Le vœu de refuge ne peut venir que de l’expérience de la méditation. Il en est le prolongement naturel.
Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation