Quand on lit des textes des philosophies de
l'Inde, il se passe la même chose que pour toute autre philosophie : il y a
d'une part les arguments intéressants, mais que l'on a tendance à oublier et,
de l'autre, les arguments qui nous marquent à jamais. Ce sont les arguments
puissants, les dieux des univers de la dialectique. Ainsi, les Tibétains
nomment "éclats de diamant" les arguments les plus forts de Nâgârjuna.
Voici ceux qui
m'ont marqué :
1. Rien n'existent
en dehors de la conscience, car rien n'est perçu ni conçu sans elle.
2. La conscience ne
peut jamais être connue à la manière d'un objet, sinon ce n'est plus la
conscience.
3. Ce qui n'existe
pas toujours, n'existe jamais.
4. Tout ce qui est,
est dépourvu de nature propre, "n'est ni un, ni multiple", comme
disent les Mâdhyamikas.
Ensuite, on peut
combiner, extrapoler, reformuler, etc. Mais ces arguments me semblent
irréfutables.
Ce qui m'amène à un
autre sujet passionnant. Celui du rapport entre bouddhisme et hindouisme. Ces ennemis de toujours semblent enfermés dans
un dialogue de sourds, état de fait nourri par une certaine mauvais foi, de
part et d'autre.
En gros, le
mécanisme des polémiques bouddhistes contre hindouistes est le suivant : l'un
affirme une chose au plan de la vérité relative, et l'autre le réfute en se
plaçant au plan de la vérité absolue ; et réciproquement. Donc, ça peut durer
longtemps. Cette histoire de distinction des deux "plans" de vérité
n'est pas à prendre à la légère.
D'autant plus qu'au
fond, je l'affirme, bouddhisme et hindouisme disent la même chose. Quel fond ?
Celui-ci : la thèse n° 2 ci-dessus - hindouiste - équivaut à la thèse n° 4 -
bouddhiste.
En clair, ce que
les hindouistes appellent la conscience-qui-n'est-pas-un-objet, c'est
exactement ce que les bouddhistes appellent la
conscience-dépourvue-de-nature-propre. Voilà l'essentiel.
P.S. : exemples :
Les maîtres de la
méthode qui consiste à détruire les discours relatifs par les discours ultimes
et inversement, ce sont Shamkara et Nâgârjuna. Avec leur manière de parler
"définitive" (nîta-artha, parama-artha), ils anéantissent les
discours conventionnels (vyavahâra). Bien que leurs propres discours... soient
aussi des discours, avec leur conventions. Inversement, je soupçonne la
Pratyabhijnâ de procéder selon cette méthode avec le bouddhisme : ils réfutent
le discours bouddhiste sur la vérité absolue en faisant remarquer que cela
détruit, réduit à néant, et n'explique nullement le cours des choses. Alors que
le discours définitif bouddhiste vise en effet cela. Si la Pratyabhijnâ veut
une explication bouddhiste des phénomènes, elle doit la chercher au niveau des
discours provisoires sur la manière dont les choses fonctionnent bien que,
selon l'avis unanime, rien ne se passe...
Une dernière
remarque : la plupart des disputes concernent non pas la vérité absolue, mais
la manière, conventionnelle et relative, dont il convient d'expliquer les
phénomènes. Cela vaut pour les Madhyamakas (eh oui, c'est comme le dzogchen, la
mahâmudrâ, etc., il y en a plusieurs variétés), pour les Vedântas, et autres
systèmes fondés sur la distinction des deux vérités.
David Dubois La Vache Cosmique