1. Pourquoi renommer Prajña & Philia ?
Depuis la fondation de Prajña & Philia, il y a quatre ans de cela, nous avons gagné en maturité. Le champ où je pensais nécessaire de se placer pour répondre à notre destin d’Occidentaux, à l’âge de la globalisation — c'est-à-dire de l’im-monde, la destruction du monde — a été circonscrit. Les derniers séminaires de cet été l’ont montré. Le niveau de sérieux de ceux qui viennent, leur joie et la manière dont ils se sentent conduits au centre de leur vie, en témoignent. Il nous est donc aujourd’hui possible d’assumer plus ouvertement cette aventure et le nom d’Ecole Occidentale de Méditation va dans ce sens. Il est plus simple.
2. Pourquoi le terme de « méditation » est-il à ce point mis en avant ?
La pratique de la méditation m’a toujours semblé être la chose la plus décisive à transmettre et elle est et restera le cœur de notre engagement. Cette transmission se doit d’être la plus rigoureuse et simple possible afin d’aider chacun à trouver son propre chemin.
Plus profondément, la méditation répond à l’une des principales difficultés qu’ont les Occidentaux aujourd’hui, à savoir : le fait d’être coupés de leur expérience. Nous sommes tous emprisonnés dans un rapport fou au temps, à cette vitesse qui nous empêche d’entrer en relation réelle avec les choses, les êtres et les évènements. Alors qu’il ne nous manque quasiment plus rien, nous n’arrivons plus à apprécier ce que nous avons. La méditation est comme une roue qui se meut en contact avec le sol. Elle est le lien permanent à la terre de notre vie. En ce sens, la méditation nous permet d’entrer en rapport à notre expérience en appréciant la réalité et la qualité subtile de ce qu’il se passe et nous arrive.
Ensuite, la méditation nous ancre; elle nous aide à nous incarner. Beaucoup d’entre nous souffrent de flotter dans leur vie. Leur existence manque de poids et le monde devient abstrait, presque flou. Ce monde de l’information continue et de la médiatisation à outrance renforce cette très profonde déréalisation. Aussi, et contrairement à l’idée reçue, la méditation ne nous retranche absolument pas du monde, mais nous ouvre sur le réel que nous manquons le plus souvent.
De façon plus décisive, la méditation nous invite à un travail toujours plus profond sur nos ombres, nos douleurs, nos frustrations… Elle dissout les murs contre lesquels nous nous heurtons inlassablement.
Enfin, j’avais peur que le nom « Prajña & Philia » finisse par voiler cette extraordinaire simplicité de la méditation et donne à tort le sentiment d’un chemin réservé à quelques privilégiés.
3. Mais alors, pourquoi avoir commencé par ce nom de « Prajña & Philia » ?
Précisément parce que cette simplicité de la méditation est trop souvent confondue avec la facilité. Le facile nait d’un refus des difficultés alors que le simple en est leur traversée.
Beaucoup font aujourd’hui de la méditation une sorte d’enfermement nombriliste, une panacée grossière. La méditation tisane ! La méditation comme fuite égocentrique ! La méditation est ainsi devenue un nouveau gadget dans la panoplie de l’homme occidental qui lui permette de continuer à avoir encore et toujours raison de tout et sur tout. Aucune remise en question, aucun souci de se tenir prêt à la moindre aventure ! Or la méditation comprise comme expérience de réalité et de vérité est d’abord une aventure qui, comme telle, nous provoque, nous bouleverse et nous libère. Elle n’est donc jamais un chemin facile mais un sentier qui est parfois abrupt.
Le nom « Prajña & Philia », par son austérité et son exigence, avait pour but de ne pas nous engager dans cette facilité. Il nous invitait, sur le champ, à considérer et nous relier à la prajña comme cette connaissance première qui vient avant tout concept, et à la philia comme le rapport le plus authentiquement humain à tout ce qui est. J’ai le sentiment que ces quatre années de travail intensif pour advenir à la promesse du nom permirent de déployer et d’incarner ce sens de prajña et de philia. Le sens de prajña permet de comprendre en quoi la tradition bouddhique ne vise en aucun cas à la quiétude. Elle est l’effort le plus soutenu d’intelligence qui nous place toujours plus directement en face de la vérité de l’existence humaine et du temps où nous nous trouvons. Le Bouddha insiste sur la nécessité de présenter les enseignements en rapport à une situation donnée. C’est là, peut-être, ce qui différencie le plus le bouddhisme avec les traditions révélées. Plus profondément, la prajña est la culmination du Grand Véhicule sans lequel aucun chemin et aucun geste d’amour authentique ne peuvent faire se! ns. La prajña est présentée traditionnellement comme la mère des bouddhas. Elle est l’espace du vif.
La question de la philia est la grande oubliée de l’histoire occidentale. Le mot même de philo-sophie en témoigne. La dimension de la philia fut en effet occultée au profit de la sophia qui a elle-même du disparaître au profit du savoir devenu science. Il y a donc tout un travail nécessaire pour réentendre à neuf cette dimension si fondamentale d’amour. Il nous faut bien voir que, peut-être, de l’amour nous ne savons plus rien et, plus radicalement, que de l’amour nous ne voulons pas. Il nous demande trop, sa demande est trop vaste et trop intense. Nous lui préférons toujours le confort. Mais, sans amour la vie est un renoncement à ce qui fait la beauté de l’existence. En disant cela, je reste bien en deçà du travail mené par Hadrien France-Lanord au cours des dernières années, et dont le livre S’ouvrir! en l’amitié (Ed. du Grand Est, 2010) donne la mesure. Le séminaire que nous avons fait ensemble au mois de juin dernier m’a laissé abasourdi tant l’immensité de ce qui est en question ébranle davantage à mesure qu’on s’en approche.
Sans cette méditation sur la philia et par là sur le sens le plus profond de la philosophie en son destin secret, nous n’avons aucune possibilité de comprendre ce qui est en question dans le bouddhisme, le sens de la méditation — en tout cas sur le sol du monde occidental (qui pour le pire et le meilleur est désormais la seule norme à faire loi sur la planète).
Prajña & Philia dit aussi comment et pourquoi la poésie, la philosophie et le dharma sont et doivent être dans un dialogue d’une urgence que je crois, sans rien exagérer, insoutenable. Or ne pouvant y faire face, nous passons notre temps à nous « obnubiler », c’est-à-dire, étymologiquement, à nous voiler les choses « derrière des nuages ». Or ce dont il est question derrière cette notion si décisive de philia, c’est de la seule possibilité de rapport réel à la vérité
4. Pourquoi avoir choisi le mot d’ « Ecole » dont le sens est beaucoup plus engageant que celui de « centre » ou d’« association » ?
Tout simplement parce que l’école occidentale de méditation veut être un véritable espace de formation. Il existe de nombreuses écoles pour apprendre de nouvelles matières, de nouvelles disciplines, de nouveaux savoir-faire, comme le font les institutions scolaires. Mais où peut-on apprendre à être humain, c’est-à-dire à mieux aimer et savoir travailler toujours davantage en direction de ce qui nous importe le plus ?
Je ne fonde pas une école pour apprendre la méditation, comme on peut apprendre la gymnastique, mais comme une manière d’apprendre à entrer plus avant dans la responsabilité qui échoit à chaque être humain. Une école de l’éthique, au sens le plus profond du terme.
5. L’Ecole Occidentale de Méditation est-elle un parti pris en direction de la laïcité ?
Oui. Je trouve que l’enseignement de la méditation et la voie ouverte par le Bouddha n’ont rien d’une religion, dans tous les sens du terme. La méditation doit être comprise à partir de l’expérience quotidienne la plus évidente. Elle s’adresse à nous dans notre vie la plus ordinaire et n’a rien d’une activité à part devant être mise à l’écart du cours normal de l’existence.
6. Ce changement de nom signifie-t-il une nouvelle orientation dans ce travail ouvert par Prajña & Philia ?
Evidemment ! La méditation est assumée comme le socle de l’espace à partir duquel s’entend le dialogue entre poésie, philosophie et dharma. Il faut aussi comprendre, et ce fut le cœur de notre travail, que sans la poésie et la philosophie, il n’y a pas, pour nous Occidentaux, d’entente possible du dharma.
Plus concrètement, nous allons transmettre la pratique de la méditation de manière plus radicale, de façon à ce que les gens puissent se l’approprier plus pleinement et qu’elle soit ainsi en mesure de leur offrir une aide réelle. D’ailleurs, le prochain séminaire qui se déroulera pendant les vacances de la Toussaint (“Le Chemin de la Méditation”, du 23 au 27 Octobre) sera tout entier consacré à la transmission de la méditation assise. Je trouvais que cela manquait.
Autrement dit, nous avons beaucoup travaillé pour trouver une autre parole qui témoigne de l’apport de la méditation, qui ouvre un chemin réel et concret permettant à chacun de mieux vivre et de mieux penser le monde où il se trouve. Nous pouvons faire confiance à ce chemin. Ce nom est aussi une manière de célébrer cet accomplissement et d’en écouter le possible.