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Coïtus reservatus et Valet de Bâtons

Blog de : Laurent Edouard

Qu'est-ce que le coïtus reservatus ?

Une technique empruntée aux érotiques taoïstes, adamites et tantriques où l'homme est celui qui doit garder sa semence afin d'accueillir en lui le dehors que représente la femme et le transmuter en dedans de soi comme immortalité, tendresse, délectation. C'est ce que nous montre le Valet de Bâton du tarot de Marseille. Bien entendu, cette vision/compréhension du tarot n'est pas accessible à l'apprenti. Ce n'est qu'à l'issue de son compagnonnage que le tarologue commencera à percevoir ce type de message tarologique.

Maître Tong-Hsuan a dit : quand l'homme sent qu'il va bientôt émettre sa semence, il doit toujours attendre que la femme ait atteint l'orgasme. Une fois qu'elle y est parvenue, que l'homme donne des coups brefs et renouvelés, son membre se jouant dans l'espace qui s'étend entre les Cordes de Luth et la Caverne de Grain ; que ses mouvements soient pareils à ceux de l'enfant qui happe de sa bouche le tétin de sa mère. Puis l'homme ferme les yeux et concentre ses pensées, il presse de la langue le palais de sa bouche, arque le dos et tend le cou. Il ouvre ses narines toutes grandes et carre ses épaules, ferme la bouche et aspire son souffle. Alors il n'éjaculera pas et la semence montera vers l'intérieur de son propre mouvement. Un homme peut régler entièrement ses éjaculations. Quand il commerce avec les femmes, il ne doit émettre sa semence que deux ou trois fois sur dix.*

Différer n'est pas seulement retarder ou délayer mais aussi rendre différent. La sexualité masculine ne nous semble peut-être aussi mystérieuse qu'en raison de son absolue simplicité qui la fait osciller en permanence entre la platitude et le non-sens : on lui enjoint d'abord de se retenir pour épouser les rythmes féminins, mais on l'invite malgré tout à s'assouvir.

Alexandro Jodorowsky est un des premiers tarologues à établir un parallèle entre LA MAISON DIEU et l'éjaculation masculine.

La sexologie officielle s'oppose aux techniques de la réserve (pourtant in fine très proches de celles susceptibles d'apporter une réponse à l'éjaculation précoce) ! Cette manière de s'accoupler défie toute forme de rationalité, brise à jamais la fiction nécessaire d'une histoire ; en ne jouissant pas selon des trajets spontanés, on refuse la mythologie hédoniste du corps de bonheur, on récuse l'idée d'une destination naturelle de la chair. Si l'homme par rapport à la femme est manque à jouir, il peut jouir alors de ce manque, manquer à sa jouissance, la rendre facultative, oublier cette dilapidation dérisoire qui s'appelle l'orgasme génital. Le partenaire masculin peut maintenir en soi le manque d'éjaculation (faire que la femme lui manque toujours), se procurer à soi-même une difficulté organique qu'il tentera de dépasser afin de prolonger indéfiniment le trouble érotique. Quitte à surseoir à sa jouissance, pourquoi l'homme n'y surseoirait pas complètement ? De telle façon que, pour lui, le coït atteigne le plus haut degré d'intensité dans une négation totale de son principe.

Comprendra-t-on que, dans certaines conditions, la retenue du sperme puisse être plus excitante que la libération séminale ?
Oublions l'intention derrière l'acte, oublions les protocoles, les interdits minutieux, les visées métaphysiques (innocence, nirvâna, immortalité) et même le priapisme obligatoire ; nous n'avons aujourd'hui aucune raison d'adopter ces pratiques que des raisons de plaisirs. Et de passions.
A suivre.

*Extrait de l'Ars Amatoria de Maître Tong-Hsuan, cité in Van Gulik, La Vie sexuelle dans la Chine ancienne, p. 172-173

Texte librement adapté et inspiré par : "Le nouveau désordre amoureux" de Bruckner et Finkielkraut.

Laurent EDOUARD