De la nécessité de se poser
Nous sommes tous aujourd’hui submergés par la colère et le chagrin devant ce déferlement de violence et devant cette attaque contre ce qui constitue le socle même de notre existence : la liberté de penser, la liberté d’être, la liberté d’aimer.
Nous nous sentons tous, en ce sens, je crois, profondément menacés. Combien d’entre nous, n’ont pas pu dormir ni retenir leurs larmes ? Combien d’entre nous ont senti, de manière plus ou moins précise, qu’attaquer Charlie Hebdo, des policiers ou un supermarché casher c’était s’attaquer aussi à notre propre personne ?
Face à cette situation, nous entendons beaucoup de proclamations d’intention.
Elles sont certes nécessaires.
Il faut affirmer la liberté d’expression, le sens de la République, le rejet de toute haine de l’autre et ici de l’effroyable antisémitisme.
Mais cela ne suffit nullement.
Nous entendons aussi beaucoup d’experts proposer leur analyse.
Certes il faut chercher à penser ce qui s’est passé.
Mais le temps de la pensée, n’est pas le temps de l’urgence.
Nous voudrions que tout ait un sens. Nous voudrions comprendre. Mais d’abord il faut accepter que le sens vacille. Il faut accepter de ne pas vouloir aller trop vite. Et c’est le sens très fort de la marche de cette après midi.
Dans une telle situation, la méditation est absolument décisive et j’écris cette lettre aussi pour inviter chacun à prendre un moment pour le faire.
Au premier chef, la méditation nous permet de nous arrêter. De prendre le temps de simplement nous ouvrir à ce que nous, nous ressentons.
Parfois, nous avons écouté des informations en boucle, cherchant à calmer notre inquiétude, à discerner un sens. Il faut prendre le temps d’arrêter. De se poser. D’être en silence. Accepter d’être perdu. Accepter de ne pas savoir que dire. Accepter que nos émotions, comme toutes les émotions, ne sont pas tout à fait justes, ne suffisent pas à nous mettre à l’unisson de ce qui se passe.
Nous arrêtons alors de nourrir une sorte de panique qui vient geler et étouffer l’expérience réelle.
Ne pas fuir la douleur
Je n’ai cessé depuis des années de dénoncer l’idée malheureuse que la méditation serait une façon de se vider l’esprit, d’être « zen ». Est-ce cela que nous voudrions aujourd’hui ? Evidemment non.
Nous ne voulons pas être heureux, nous avons besoin d’apprendre à avoir un rapport juste à la douleur. Tel est précisément le sens réel de la méditation. Et par là, elle apaise profondément.
Parfois, je dois reconnaître qu’écoutant les informations, je suis gêné par le ton de certains journalistes qui, je trouve, manquent de sobriété, de tenue et de dignité.
Malgré la peur, malgré la douleur, nous devons rester dignes. Cela n’est possible qu’en étant honnêtement en rapport à ce que chacun de nous ressent.
Méditation sur l’amour bienveillant
Mercredi quand j’ai dû diriger la pratique de la méditation, j’ai été saisi, pendant un moment, d’un profond désarroi. Que faire dans une telle situation ? Il était évident qu’il fallait laisser tomber l’enseignement que j’avais prévu et, tous ensemble, s’engager dans la pratique de la présente attentive mais surtout dans celle de la bienveillance.
La pratique de la bienveillance se fait en deux grandes étapes.
Etant entré en relation à ce que vous vivez, il faut avoir une attitude de bienveillance. Votre douleur, prenez-là dans vos bras, comme si elle était un enfant qu’on vous aurait confié. Prenez votre douleur et posez-là dans le berceau de la tendresse la plus aimante.
Ne la jugez pas. Apaisez votre douleur avec l’éventail de la douceur.
Si nous ne ressentez rien de particulier, car tout est trop flou, trop confus pour que vous sachiez réellement ce que vous ressentez, éprouvez de la bienveillance pour cela.
Eprouvez de la bienveillance si vous êtes débordé, abasourdi, désarçonné, plein de haine ou de colère.
Accueillez avec bienveillance votre découragement, votre désespoir, votre inquiétude ou votre angoisse.
Dans un deuxième temps, après avoir pris soin de votre propre douleur, ouvrez votre cœur. Ouvrez notre cœur envers tout ceux qui en ce moment souffrent comme vous, vivent la même détresse que vous.
Prenez toute cette douleur dans vos bras. Apaisez-là.
Quand des événements aussi terribles surviennent, il est normal de sentir une forme d’impuissance, d’avoir l’impression de perdre quelque chose de notre vaillance, de notre courage. Pratiquer la méditation est une manière très réelle de nous mettre à l’unisson de la peine du monde, de témoigner notre solidarité envers ceux qui souffrent, de sentir que nous sommes tous unis dans une même douleur. Qu’en réalité, nous ne sommes pas démunis. Notre cœur qui souffre en témoigne. Il est ouvert.
Pratiquer la bienveillance en un moment de grand chaos est une manière très réelle et très belle de garder un rapport vivant à la dignité la plus pure de l’être humain. Car notre dignité, ne consiste pas à savoir que faire, à être parfait, mais simplement à avoir l’aspiration que tous les êtres soient libres de la souffrance, que chacun puisse trouver la paix profonde du cœur.
Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation