Comment faire pour que la pratique nous aide pour de bon ? Comment faire pour qu’elle nous permette d’être davantage nous-mêmes, apaise ce qui a besoin d’être apaisé, guérisse ce qui a besoin d’être guéri, éclaire ce qui a besoin de clarté ?
Mais qu’est-ce que « se poser » ?
La réponse à ces questions tient dans un seul geste, aussi simple que déconcertant : apprendre à se poser. Toute la méditation réside là.
Se poser signifie s’asseoir pour de bon, ne pas partir dans des élucubrations, ne pas « penser » que l’on pratique, mais « le faire ».
C’est difficile, car on a beaucoup de mal à consentir au présent, à consentir à ce qu’on vit. On préfère notre version de la réalité, nos explications sur ce qui nous arrive — ce qui, loin de nous aider, ne fait que compliquer notre existence.
Je vois beaucoup de gens qui croient pratiquer, mais en réalité, ils restent dans leur tête. Ils planent un peu, ils ont leur conception de la pratique. Ils ont parfois même inventé leur version de la méditation.
Or, tout le travail est de s’asseoir vraiment, de prendre corps, de s’enraciner, de se laisser peser de tout son poids sur la terre, de faire en sorte que notre centre de gravité redescende, de se réinscrire corporellement dans le présent et d’être ainsi ouvert à ce qui a lieu.
Non pas notre idée de la réalité, mais la réalité toute nue.
Notre corps est ici notre meilleur ami. Il nous aide. Nous devons apprendre à nous confier à lui. (Dans l’École occidentale de méditation, une grande part de la transmission tient à cette manière dont nous aidons chacun à y arriver).
Le signe que nous sommes posés, c’est que quelque chose de bon se donne aussitôt.
Je parle là de quelque chose qui est très ordinaire, pas du tout d’une réflexion philosophique. Quand vous vous posez, c’est bon. Vous vous sentez vivant. Vous vous sentez humain. Vous êtes humble. Vous êtes sur la terre. Cela vous donne confiance.
Au début, cela rebute. La réalité vous rebute. C’est trop ordinaire. Ennuyeux. Puis, peu à peu, vous découvrez que c’est délicieux
Un geste de confiance
Méditer nous permet ainsi d’avoir confiance. Les gens ont malheureusement l’impression que la confiance vient de l’estime de soi : il faudrait que je me dise que je suis quelqu’un de bien pour avoir confiance.
Ce n’est pas du tout vrai. On n’a pas confiance parce qu’on se fait des compliments, mais parce qu’on se pose.
On a confiance parce qu’on est en rapport avec la vie, on s’ouvre à elle.
La confiance c’est quoi ?
Ce qui n’a pas besoin de certitude pour nous apparaître comme vrai.
Nous disons : « Il est certain que deux et deux font quatre » mais nous ne disons pas : « J’ai confiance que deux et deux font quatre ». En revanche nous pouvons avoir confiance dans un ami à qui nous avons confié une mission.
La confiance suppose de surmonter une certaine incertitude. Grâce à elle, on passe dans un autre registre.
Pourquoi est-ce important ? Parce que la pratique est elle aussi un acte de pure confiance — non une sorte de certitude. Quand on pratique, on se fie à la vie en nous. On s’abandonne à la vie dans sa fécondité.
On accepte de ne plus tout savoir, de vouloir tout contrôler. On s’ouvre.
Et c’est là un acte très concret.
Surtout, ne cherchez plus à être zen !
Un des principaux obstacles est d’identifier la pratique au fait de se calmer, d’être zen. C’est une erreur très répandue aujourd’hui.
En réalité, c’est une idée aussi absurde que dévastatrice [1]. On aimerait certes tous être calmes !
Mais croire que nous ne devrions plus être en colère, tristes, déprimés, angoissés, impatients nous trompe. Aucun être humain ne pourra se débarrasser de ces émotions. Le croire ne peut que nous culpabiliser. Puisque nous ne pourrons jamais y parvenir.
Vouloir être calme, c’est donc faire de la méditation une forme de torture. On médite alors pour ne plus être soi-même. Pour correspondre à un idéal. On s’en veut de vivre ce que l’on vit. On s’en veut d’être confus. On s’en veut d’être triste. On s’en veut d’être soi.
Autrement dit, plus on veut être calme, moins on supporte ses émotions, ses difficultés, les emmerdes…
C’est là une complète dérive.
Méditer, c’est l’attitude inverse. Au lieu de chercher à être autrement que ce que l’on est, on se pose, de manière très simple et très profonde. On se pose là où l’on est. Si vous êtes triste, vous vous posez dans votre tristesse. Vous pratiquez avec elle.
Vous ne cherchez pas à vous calmer, mais vous vous ouvrez à la réalité de votre expérience, sans vous y fixer.
Ne méditez pas pour être calme, serein, zen, mais pour être avec vous, comme vous êtes, là, maintenant !
[1] Je ne parle pas du zen au sens de la tradition zen du Japon, redoutablement exigeante. Je parle du mot dans le sens où il est utilisé aujourd’hui, par exemple, dans les contrats d’assurance, les publicités pour les yaourts ou les shampoings.
Pourquoi n’y arrivons-nous pas ?
Faire ce geste très ordinaire de se poser, de redevenir un être humain assis sur la terre a beau être très simple, je suis frappé de constater que beaucoup de gens n’y parviennent pas.
Quelque chose résiste.
Mais quelle est cette résistance ?
La volonté de tout contrôler. Plutôt que de faire confiance dans la vie, nous voulons la dominer.
C’est même pourquoi nous voudrions être calmes. Pour que plus rien ne vienne nous secouer, nous déplacer, nous surprendre…
Nous ne sommes pas prêts à nous poser parce que nous voudrions avoir le fin mot de l’histoire. Or, ce n’est pas nous qui aurons le fin mot de l’histoire, c’est la vie. Méditer, c’est savoir que c’est la vie qui a le fin mot de l’histoire et que j’ai à m’abandonner, à me confier, à me ressourcer.
Voilà ce qu’est la méditation. Je m’assois pour de bon. Je me pose. J’éprouve ma peur, mon hésitation, ma colère. Ma fatigue. Mon inquiétude. Le fait que je sois perdu.
Je les rencontre. Et je me pose ainsi peu à peu plus entièrement.
Il y a là un geste d’une grande humilité. Du reste, le terme « homme », homo ne s’oppose pas à femme, comme on le croit souvent aujourd’hui, mais aux dieux célestes.
Homme a la même racine qu’humilité — la terre. Être un homme, c’est avoir à assumer notre état, notre humilité d’être imparfait et fragile…
Or, nous ne voulons pas rencontrer notre « humilité », et préférons rêver… chercher des solutions…
Se poser sans rien exclure
Quand nous nous posons dans la pratique, nous ne nous posons pas seulement avec notre corps tel qu’il est, mais aussi avec notre existence tout entière, avec toutes les circonstances de notre vie.
Beaucoup de pratiquants, même très expérimentés, ont une fâcheuse tendance à en faire une sorte de parenthèse.
Ils tiennent à l’écart de leur pratique leurs problèmes, leur patron tyrannique, leur femme ou leur mari qui les ennuie, leurs enfants qui ne veulent pas donner un coup de main.
Ils entrent dans un monde à part.
Mais si vous voulez que votre pratique transforme votre vie, vous devez pratiquer avec ce que vous êtes, avec ce que vous vivez.
Ainsi, dans la pratique, on n’essaie pas de chasser son mari, sa femme, ses enfants, son patron. Ils sont là. Sans que nous les ayons forcément en tête, mais ils sont là parce qu’ils font partie de notre vie. Je pratique avec eux, que je le veuille ou non. Je pratique même avec la situation politique et sociale de notre monde. Nous devons pratiquer avec tout cela.
Je me fous la paix
C’est pour cette raison que je dis que méditer, c’est se foutre la paix. Je n’essaie pas d’atteindre un résultat ni de réussir quoi que ce soit. Je me fous la paix. J’essaie de faire confiance au présent. Je ne contrôle ni ne démissionne.
Dans la pratique, vous ne faites rien. Vous ne réfléchissez pas à vos problèmes. Vous ne les analysez pas. Vous vous ouvrez à eux. Vous les accueillez. Vous vous posez avec vos problèmes et vous ne faites rien. Ils sont là et vous vous foutez la paix. Quelque chose alors va avoir lieu.
On veut trop vite comprendre. On veut des solutions. Et cela nous égare toujours plus.
On comprend bien pourquoi. On nous explique que soit il faut régler ses problèmes, soit, si nous ne pouvons pas les régler, il faut lâcher prise.
On a oublié une autre voie — celle de la méditation. Qui consiste à se poser sur la terre avec tout ce qui nous arrive. Et se mettre à écouter ce qui est.
Non pas gérer la réalité, non pas l’abandonner — se mettre à son écoute, la rencontrer.
Ni contrôler ses émotions ni lâcher prise. Être avec. Les reconnaître. Les accueillir avec bonté.
Je sais que la méditation n’est souvent pas présentée ainsi. On dit aux gens de suivre leur souffle et de laisser passer leurs pensées comme des nuages dans le ciel. C’est tellement abstrait comme approche ! Je comprends que tant de gens me disent que cela les « emmerde » et qu’ils ont le sentiment que cela ne change rien à leur vie.
En réalité, ce n’est pas la méditation qui ne les aide pas, c’est leur manière de pratiquer qui est erronée. Leur manière de pratiquer pour être à distance de leur vie au lieu de se resynchroniser à elle.
Si dans la pratique nous tenons à distance nos problèmes et que nous nous enfermons dans une bulle, la pratique ne pourra pas nous aider.
Méditer ce n’est donc pas se réfugier dans un cocon, à l’écart de nos difficultés. C’est laisser tout se transformer en profondeur.
Et pour cela, la clé est de se poser corporellement, de respirer avec sa vie. Il s’agit de s’asseoir exactement comme on est, avec notre vie telle qu’elle est. Dans ce geste, tout est intégré.
Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation