Pour célébrer ce moment, j’ai choisis d’évoquer la pratique de l’amour bienveillant qui est l’une des pratiques décisives de la voie du Bouddha et auquel je consacre les deux dernières méditations du coffret méditation.
Rien
n’est plus essentiel que la pratique de l’attention. Multiplier les techniques
et les approches, c’est ne rien approfondir. Il faut d’abord s’établir au sein
de cette présence attentive qui nous permet d’être tel que nous sommes, moins
soumis aux méandres de la confusion.
Mais cependant la pratique de l’amour bienveillant est essentielle et il est
bon de la connaître et de la pratiquer.
En
un sens, la méditation de l’attention est déjà un acte d’amour radical : entrer
en rapport à soi sans se juger, se donner le droit d’être, se rendre avec
bienveillance disponible à tout ce qui est, éprouver la dignité de tout être
humain — n’est-ce pas cela le sens le plus authentique de l’amour?
Cette pratique de l’amour bienveillant en éclaire la portée. Personnellement,
elle ne cesse de m’accompagner et de m’aider au point de teinter ma vie
quotidienne. Tout être, au fond de son cœur, ne désire-t-il pas pouvoir mieux
aimer ? Sortir de la haine et du ressentiment, mais aussi plus simplement de
l’isolement, du sentiment d’être incompris, mal-aimé, voire à jamais
in-aimable. Retrouver le lien avec le monde entier.
Or il existe un chemin pour l’apprendre, c’est la méditation de l’amour
bienveillant. Il est possible d’apprendre à aimer. D’apprendre à faire
confiance à l’amour. De vivre dans cette dimension de présence.
Cette méditation consiste à éprouver la vérité de l’amour, de la laisser pleinement irradier. Puis de diriger consciemment son amour vers soi, puis vers tous ceux que nous aimons, pour enfin y inclure tous les êtres vivants dans ce monde.
L’amour est un chemin
Le trompeur souci d’authenticité
Ce
qui déconcerte souvent dans cette pratique est la perspective qui l’anime,
c’est-à-dire que l’amour puisse s’apprendre. Nous croyons spontanément que soit
l’amour est là – et c’est merveilleux — soit il ne l’est pas – et il n’y a rien
à faire. Rien ne serait pire, pensons-nous, que de se forcer. Le souci
d’authenticité nous trompe ici profondément.
Je me souviens, enfant, avoir fait une singulière constatation qui me troublait
beaucoup. Le visage de la maîtresse au début de l’année m’apparaissait comme
m’étant étranger alors qu’après quelques mois, il me devenait familier. Du
coup, je ne la voyais plus du tout de la même manière. Ce phénomène, qui me
déconcertait alors, est très profond. Il n’existe pas de réalité purement
objective. Notre regard transforme ce que nous voyons.
Quand nous portons attention à quelqu’un, simplement, sans préconception, il
nous devient plus proche. Et souvent ce mouvement d’âme suffit à nous
permettre, si ce n’est à l’aimer au sens fort, à tout au moins l’apprécier pour
de bon.
Nous pouvons apprendre à ouvrir notre cœur pour découvrir la beauté propre à
tout être humain.
Il n’existe en réalité pas de regard juste qui puisse être simplement objectif.
Quand ai-je une relation réelle avec un autre être humain ? Quand je le regarde
à distance ou quand je commence à sentir le lien qui nous unit ? Et pour ce
faire, je suis alors moi-même touché par ce que je regarde.
La méditation sur l’amour bienveillant vise à nous permettre de retrouver ce
lien sans lequel notre existence est terne et douloureuse. Or ce lien n’a pas à
être construit, tout être humain est d’avance relié à tous les autres. Il ne
faut pas le fabriquer, mais apprendre à le laisser être. C’est le sens des
remarques du renard dans le livre de Saint-Exupéry. Le petit prince veut un
ami, mais comme lui dit le renard : « On ne connaît que les choses que l'on
apprivoise. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des
choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands
d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! »
- Que faut-il faire? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu
loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne
diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras
t'asseoir un peu plus près... » En un sens, la méditation sur l’amour
bienveillant tient de cette discipline que propose le renard. Etre juste avec ce
qui est, ouvert à lui, sans avoir d’intentions particulières. Singulièrement
cela transforme tout.
Le renard n’aime pas d’avance le petit prince, mais par l’attention qu’ils
s’accordent le lien peut se déployer. Je crois qu’il y a là une grande leçon : si
l’on ne peut forcer l’amour, il importe cependant d’apprendre à lui donner
droit.
Une épreuve de vulnérabilité
Aimer
est un grand défi parce que nous ne pouvons pas aimer sans prendre le risque de
nous ouvrir et de nous exposer. Or cela n’est pas aisé. S’il existe une
méditation sur l’amour bienveillant, c’est parce qu’aimer est réellement
difficile. Il importe d’avoir l’honnêteté de le reconnaître.
Nous sommes tous si blessés de n’avoir pas été aimé ou d’avoir été mal aimé,
que l’amour nous fait peur. Nous préférons une sécurité confortable même si
elle nous cantonne à une existence éteinte et étriquée. Sans que nous en soyons
tous conscients, quelque chose en nous se refuse à prendre le risque de nous
dénuder pour laisser droit à l’amour. Car il est en effet impossible d’aimer
sans prendre un risque, celui d’être déçu, blessé, voire même rejeté. Quand
nous aimons, nous sommes touchés. Notre cœur devient plus sensible. Nous le
sentons. Notre poitrine semble même parfois comme trop petite pour le contenir.
Nous sommes comme sans protection, la chair à vif, sans peau. Il faut le
soutenir.
Malheureusement,
dans nombre de discours sur l’amour ce phénomène est passé entièrement sous
silence. L’amour est présenté, de manière bien abstraite, comme une félicité complète
qu’il faut obtenir.
On comprend que l’obsession de tant de gens soit de rencontrer au plus vite
l’âme sœur — pour répondre à ce nouvel impératif. Mais le point de départ
choisi est alors profondément erroné. Aimer est une aventure magnifique, mais
ne peut pas être un but. Avoir une telle attitude nous condamne à vivre de
constantes déceptions.
Jamais une relation avec une autre personne ne pourra suffire à elle seule à
nous combler. Même l’amour le plus merveilleux ne peut pas être le terminus du voyage
mais est toujours un nouveau chemin qui s’ouvre. L’occasion même de cheminer.
Je me souviens, lors d’une conférence que je donnais, de la réaction violente
d’une auditrice à mes propos. En colère, elle me dit avoir toujours vécu une
relation d’amour parfaite. Elle n’avait jamais senti la moindre peur. Et elle
ne comprenait pas ce que je disais en évoquant la nécessité dans une relation
d’amour de toujours veiller à ouvrir notre cœur, de travailler avec ce qui
l’obstrue, jour après jour.
Le problème de cette croyance, de la croyance en un amour idyllique, est
qu’elle nie la vérité de notre expérience et nous empêche de la vivre vraiment.
La joie d’être mère, pour prendre un autre exemple, est certes indicible, mais
elle n’est pas sans douleur. La peur que le nouveau-né souffre, de ne pas
savoir lui répondre, est profonde. Reviennent parfois aussi à la conscience des
peurs diverses qui parfois coupent la mère de l’amour en elle. Présenter une
image trop romantique de l’amour est en réalité un acte violent et cruel. La
mère qui se sent malheureuse ou qui est simplement inquiète va se sentir encore
plus coupable de ne pas ressentir ce qu’on lui présente comme étant normal. Il
faudrait beaucoup mieux expliquer que l’amour est d’abord un chemin qui doit se
découvrir, une manière d’ouvrir son cœur, de se dénuder, de reconnaître
l’existence de la souffrance, de retrouver la profondeur des liens qui nous
unissent aux autres et au monde.
Vous pouvez découvrir cette pratique dans le coffret Méditation et je l’enseignerais dans le séminaire L’ampleur du désir, à Genève du 13 au 15 janvier 2012 et dans Compassion et lâcher-prise à Paris, du 9-11 Mars 2012 ainsi que dans le grand séminaire d’été où nous explorons en détail le chemin de l’entière bienveillance et de l’amour confiant.
Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation