Je voudrais chaleureusement vous inviter tous à venir au débat qui aura
lieu à l'auditorium du monde — le mardi 11 septembre à 19h (80 boulevard
Auguste-Blanqui) à l'occasion de la sortie de mon livre Auschwitz, l'impossible
regard (Seuil) — un débat animé par Nicolas Weill avec la présence d'Annette
Wieviorka et du rabbin Delphine Horvilleur.
Ce billet est consacrée à la sortie du livre Auschwitz, l’impossible regard (éditions du Seuil), qui sort en librairie le 6 septembre 2012.
Dans la première note de votre livre Auschwitz, l’impossible regard, vous écrivez: « J’ai rédigé une première version de ce livre entre ma vingt-septième et ma trente-deuxième année. Il m’a fallu ensuite un peu plus de douze ans pour réussir à mettre en ordre ce récit, c’est-à-dire à l’écrire, mais surtout à penser l’effroi où il s’avance. »
Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce travail?
La grande difficulté fut pour moi de trouver le ton juste. J’ai
commencé ce livre alors que mes deux grands-mères étaient encore vivantes et je
notais régulièrement les conversations que j’avais avec elles. Chaque année, je
reprenais le livre. Mais chaque fois j’étais obligé de le refermer après
quelques temps n’arrivant pas à dire ce qu’il fallait. Cela ne sonnait pas
juste. Je me rends compte maintenant, rétrospectivement, que ce n’était pas
vraiment une question d’écriture mais une question d’expérience intérieure.
C’est en avançant dans mon chemin et ma pratique que j’ai trouvé le silence qui
permet de dire – en sachant précisément ce qu’il faut savoir taire. C’est une
épreuve vertigineuse de découvrir à quel point il n’y a de paroles justes
qu’abritées dans le silence. Vous n’arrivez à dire ce qui importe que pour
autant que vous ayez découvert un silence précis. Autrement dit, écrire est
devenu pour moi un travail pour chercher non pas tant le mot juste que le
silence juste. Ce qui n’est pas du tout du même ordre.
Il est des choses qu’il ne faut pas dire, non parce qu’elles sont secrètes ou
indicibles — mais parce qu’elles ne sont pas ce qu’il faut dire.
L’autre grande difficulté était d’arriver à articuler mon histoire dans ce
qu’elle a de plus personnelle et intime, avec une perspective et une analyse
qui se devaient d’être historiales. Mon histoire personnelle n’a en tant que
telle pas grand intérêt. Si j’ai écris ce livre, ce n’est pas pour me raconter
mais pour affronter l’élément de catastrophe propre à notre temps. Le fait que
je sois un enfant de la troisième génération de ces Juifs condamnés aux camps
d’extermination m’a juste interdit de faire comme si de rien n’était, comme si
Auschwitz n’était qu’un accident malheureux de l’histoire ou un épiphénomène de
la barbarie humaine. Or réussir à penser
la Shoah, voilà qui est d’une extrême difficulté même si c’est aussi d’une
impérieuse nécessité. En quelque sorte mon livre est né d’un effort pour
répondre à cet appel à penser — qui nous concerne tous. Nous sommes tous, et de
manière beaucoup plus décisive que nous le croyons généralement, marqués par la
Shoah. Mais encore faut-il réussir à le penser.
Faites-vous une différence entre devoir de mémoire et devoir de penser?
C’est exactement la difficulté.
Il y a d’abord eu le temps des témoins. Il faut rappeler qu’après guerre on a
longtemps refusé de les entendre. Primo Lévi ou Elie Wiesel ont du faire preuve
de ténacité pour simplement faire paraître leurs premiers ouvrages.
Nous avons eu ensuite le temps des historiens dont le travail a permis de
déterminer les conditions réelles ayant mené à l’extermination méthodique et
industrielle des Juifs d’Europe.
Je crois que vient désormais le temps de penser plus avant le sens historial de
la Shoah. Cela me semble être, à présent, une tâche d’une impérieuse nécessité.
Je reviens beaucoup dans le livre sur les limites relatives à la notion de «
devoir de mémoire » et de ce qui est devenu par la suite un slogan: « Ne pas
oublier pour que cela ne se reproduise pas. » Or voilà qui n’est pas
satisfaisant. C’est ce que souligne le grand historien Georges Bensoussan,
dénonçant à juste titre ce tumulte d’une parole qui ne dit rien: « Ce devoir
n’est que l’autre visage du tabou: parler sans fin pour ne pas dire
l’essentiel. ». En prendre la mesure est aussi nécessaire qu’abyssal !
Ce travail prend-il un sens par rapport à votre engagement de transmettre la pratique de la méditation au sein de L’Ecole Occidentale de Méditation ?
Absolument ! C’est même ce pourquoi je me suis décidé à le
faire. Qu’est-ce qu’en effet transmettre la pratique de la méditation? C’est
montrer à tout homme qu’il est possible de trouver un rapport à la dignité la
plus profonde et à cette dimension proprement sacrée de l’être humain. Or il
s’avère que cette dignité et cette part sacrée ont été, au XXe siècle, niées
dans leur essence même. Le risque est donc, si l’on ne prend pas cela
pleinement et sérieusement en vue, de faire de cette part sacrée de l’homme une
sorte d’abri contre les difficultés de l’existence, une manière d’éviter de se
confronter à l’abîme qu’a connu et que connait encore notre temps. C’est ainsi
qu’est le plus souvent présenté la spiritualité et la méditation. J’en ai
toujours souffert. De manière plus ou moins accentuée, elles ne font que nous
exiler de notre monde.
Or toute pratique spirituelle authentique a pour fin de nous centrer et ces approches
qu’on nous présente nous excentrent.
Je ne vois pas comment il est possible de présenter légitimement la méditation
sans pouvoir répondre du pire, sans nous confronter à la réalité dans tous ses
aspects y compris les plus terrible. Sans cela, la méditation ne sera qu’un
calmant, une sorte d’opium anesthésiant, une fuite devant la réalité. Or la
méditation doit nous faire entrer au cœur même de la réalité telle qu’elle est
(et non comme nous l’aimerions en un rêve aseptisé).
Or tout le problème est qu’à la différence d’autres atrocités qui ont marquées
l’histoire humaine, ce qui s’est produit durant la seconde Guerre Mondiale — et
il faudrait aussi ici parler d’Hiroshima — a mis en péril non seulement des
existences concrètes d’hommes et de femmes mais aussi, de façon vertigineuse et
quasiment impensable, l’être même de l’être humain. Or la méditation est quant
à l’essentiel mise en rapport direct et par là, sauvegarde de cet être qui
apparaît sans médiation aucune – comme fragilité, tendresse et aussi espace
vibrant de présence.
En ce sens la pratique de la méditation répond, dans ce nouveau rapport qu’elle
ménage à l’être, au plus urgent quant à la situation de l’homme d’aujourd’hui.
Elle n’est pas du côté de ce qu’on nomme banalement le spirituel ( au sens d’un
supplément d’âme) mais davantage du côté de cet engagement politique, éthique
et philosophique — sans lequel il n’est pas possible de vivre ensemble.
Vous voyez ainsi que l’aspiration de L’Ecole Occidentale de Méditation est
ambitieuse. Non pas une devenir un îlot pour essayer de se calmer, mais
apprendre à entrer en débat avec ce qui empêche la présence et la préservation
de la dignité propre à tout être, ici et maintenant. N’est-ce pas là, répondre
à l’exigence de compassion propre à la tradition bouddhique? En ce sens, ce
livre est pour moi un achèvement et la fin d’une période de mon existence.
Le 11 septembre sera organisé un débat: « Peut-on guérir d’Auschwitz et doit-on guérir d’Auschwitz? » par le Monde des Religions, en partenariat avec Philosophies TV.
C’est un moment important. Je serai vraiment très heureux de vous y retrouver nombreux. Et puis-je même ajouter que j’espère votre soutien?
Fabrice Midal Ecole Occidentale de Méditation