La nature ne peut être le fondement de la morale, car la nature, comme ordre naturel, n'est qu'une construction au service des intérêts de ceux qui dominent cet "ordre naturel".
Mais ceci n'implique pas que la contemplation de la réalité ne soit pas une source d'inspiration morale. La beauté du réel, sa cruauté, son indifférence, sa démesure, son absence d'essence, de fondement et de centre sont des expériences puissantes, capables, à tout le moins, de remettre en question nos préjugés. En particulier, la contemplation des formes de la nature peuvent inspirer la découvertes d'objets mathématiques d'une beauté troublante. Un exemple qui donne le vertige est le fractal de Mandelbrot, merveilleusement expliqué par Arthur C. Clarke dans ce documentaire. Les fourmis ne sont pas des triangles, mais les triangles sont aussi sources d'émerveillements. Cette gravure d'Escher allie la géométrie, la perception et la relativité pour ébranler nos repères - tout se déploie dans l'espace de conscience :
L'œuvre d'Escher est un exemple frappant, auquel ce petit film rend hommage :
Autre remarque : Le bouddhisme et l'hindouisme d'un côté, platonisme et religions abrahamiques de l'autre. De part et d'autre, les lignes d'opposition ne passent pas au même endroit. En Inde (pour faire simple), on n'oppose pas l'homme à l'animal, la nature à la culture, l'intellect au corps, mais la conscience à l'inerte, le vivant à l'inerte, le sujet à l'objet, la conscience à l'objet. C'est pourquoi, bien que les mathématiques s'y soient développées comme en Grèce, l'intellect n'y a pas été divinisé. Telle est la grande, l'immense différence entre les non-dualismes indiens et le platonisme et les spiritualités d'Occident. Bâties sur la divinisation de l'intellect et des mathématiques, ces dernières fondent la dignité de l'homme sur la bêtise des animaux. Alors que la philosophie de la Reconnaissance comme le bouddhisme fondent la morale sur la capacité à sentir, sur la conscience. La conscience n'est pas moindre dans le chien que dans l'homme, même si ses pouvoirs sont actualisés différemment.
"Cet être qui a pour attribut la conscience est présent en tous les corps.
Il n’y a nulle part de différence."
Ce vers extrait du Tantra de la Reconnaissance de Bhairava, est ainsi commenté dans le Clair de lune de la reconnaissance :
"Dieux, démons, hommes, animaux, plantes, êtres mobiles ou immobiles, tous ont en commun la conscience. Il n'y a là aucune différence. Le corps, (le souffle, l'intellect) et autres (attributs) ne font aucune différence quant à la la conscience. Méditer cette (vérité), c'est faire l'expérience irrévocable que "partout et en tout, c'est seulement la conscience qui se déploie"."
Vijñ?na-kaumud? ad Vijñ?na-bhairava, 100
Un maître dzogchen confirme :
"Le terme 'conscience ordinaire' est le plus proche, le plus adéquat pour décrire la nature de l'esprit... 'Ordinaire' veut dire que cette conscience continue est présente en tous les êtres, depuis Samantabhadra jusqu'au plus petit insecte. C'est elle, le vrai Samantabhadra".
Tulkou Orgyen, Vajra Speech, p. 107
Samantabhadra est le Bouddha primordial, l’incarnation de notre vraie nature introuvable et toujours-déjà donnée, sans effort ni artifice. "Ordinaire" se dit en sanskrit prâkrita, qui signifie aussi "naturelle", non produite par une technique, et commune à tous les êtres, universelle donc.
David Dubois La Vache Cosmique