Quatre mois après sa constitution, la commission d’enquête sénatoriale sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé a réussi « l’exploit » de n’avoir auditionné publiquement et sur vidéo aucun praticien des PNCVT (Pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique) ciblées par cette enquête. S’il s’avérait que son intention est de le faire ultérieurement, le fait de n’avoir invité en premier lieu que le gratin du petit monde antisectes reste une orientation problématique. Cet état de fait est somme toute cohérent avec le thème de l’enquête et son titre qui constituent à eux seuls un parti pris évident.
Le déroulement de cette commission illustre les méfaits d’une posture rationaliste obtuse et du scientisme dans la conduite des affaires publiques.
Le vernis du rationalisme sur les affects humains
De nombreux intervenants de la commission d’enquête se présentent, en paroles et en actes, comme des personnes « rationnelles » : les propos se veulent réfléchis et argumentés ; l’impératif incontournable de la preuve scientifique en matière de santé est rappelé tout au long des échanges. Pourtant, la plupart sont, probablement comme beaucoup d’entre nous, pilotés en grande partie par leurs affects, souvent inconsciemment et, dans le cas présent, par des affects négatifs dirigés contre les groupes et pratiques visés par cette commission. La « posture rationnelle » d’ensemble n’est qu’un faux-semblant, un paravent aux multiples peurs, frustrations et ambitions personnelles qui affleurent. Quelques exemples :
Georges Fenech (ancien président de la MIVILUDES, voir nos commentaires sur son audition) : sa posture rationnelle consiste à prétendre prendre la défense de « victimes » objectives et à s’ériger en défenseur éclairé de l’intégrité individuelle. De fait, affirmer sans preuve que 13 millions de personnes ont été victimes de dérives sectaires et sont donc victimes de leur choix de vie est une forme aggravée de mépris pour ces citoyens. Le mépris n’est pas une marque d’intelligence ni de rationalité, c’est un affect destructeur.
Serge Blisko (nouveau président de la MIVIUDES, voir nos commentaires sur son audition) : ses hésitations verbales, ses fuites devant les nombreuses questions auxquelles il ne sait répondre contrastent singulièrement avec ses affirmations péremptoires sur les sectes envahissant le tissu social. Il suffit d’un peu d’attention pour voir que les faits démentent les affirmations du nouveau président de la MIVILUDES. Ignorer de façon aussi patente les faits est le contraire d’une démarche rationnelle honnête et le signe probable que d’autres forces intérieures sont à l’œuvre.
Hervé Machi (secrétaire général de la MIVILUDES, voir nos commentaires sur son audition) : il adopte le ton assuré et tranchant de la personne qui sait de quoi elle parle. Mais quels sont les éléments concrets derrière cette assurance ? Est-ce le travail méthodique et honnête d’un magistrat ? Ou une série d’amalgames hâtifs lui permettant de comparer les médecines alternatives à des pratiques mafieuses ? Vouloir « gagner » un débat public sur la prétendue dangerosité des sectes en désinformant de la sorte s’apparente-t-il à une argumentation rationnelle ? Poser la question, c’est y répondre. Quel est alors le véritable mobile d’Hervé Machi ?
Alain Milon et Jacques Mézard (sénateurs, respectivement président et rapporteur de cette commission d’enquête) : les deux sénateurs questionnent Serge Blisko sur le nombre de victimes mineures de dérives sectaires. Ils n’obtiennent aucune réponse cohérente. En direct, Georges Fenech leur avoue qu’il n’a aucune donnée statistique pour étayer le chiffre de 60 000 qu’il diffuse pourtant depuis plus de six ans sur tous les médias. Quelles inhibitions aboutissent à rendre les deux sénateurs complètement atones devant la révélation de cette désinformation systématique de la part d’un haut fonctionnaire rattaché au Premier Ministre ?
Jean-Luc Harousseau (Haute Autorité de Santé) : il confie ne pas connaitre le sujet des dérives sectaires. Son travail consiste à aider à la décision, donc en particulier à peser le pour et le contre sur chaque question de santé rentrant dans son champ d’action. Par quelle paresse intellectuelle, peur de choquer ou peur d’être désavoué en arrive-t-il à adopter avec complaisance les thèses antisectes anxiogènes partagées par les membres de la commission, après s’être déclaré de fait incompétent en la matière ?
Il y a, dans la plupart des interventions mentionnées, une capacité remarquable à recouvrir les motivations réelles par des propos en apparence réfléchis et distanciés. Tout ceci n’est pas original. Le philosophe Spinoza, en particulier, a décrit en détail la place des affects dans la vie de l’homme : « La nature des sentiments, leur force impulsive et, à l’inverse, le pouvoir modérateur de l’esprit sur eux, personne, à ma connaissance, ne les a déterminés » (tiré de « De l’origine et de la nature des sentiments », texte dans lequel il s’emploie à démêler cet écheveau).
Le postulat de rationalité de nombreux intervenants est d’autant plus trompeur que le paysage intérieur des affects semble en friche, faute d’avoir été sérieusement visité. Cette commission n’est pas une exception. Lorsque, dans un débat télévisé ou radiophonique, un intervenant tente de questionner les ressorts profonds d’un contradicteur, il ne faut pas longtemps pour qu’il soit rabroué dans sa prétention à « psychologiser » le débat. Il faut surtout laisser les échanges au niveau superficiel et supposé « rationnel » de l’intellect, de peur de les polluer avec les motivations plus obscures des uns et des autres ! Croire à ce détachement possible, sans un sérieux travail ad-hoc, est une illusion.
Le constat de la prééminence des affects sur bien des arguments d’apparence rationnelle n’est pas un jugement, ni l’expression d’une fatalité. Il est fort possible que les intervenants de cette commission, tout du moins certains, pensent « sincèrement » ce qu’ils disent. Mais on attend un peu plus de perspicacité de la part de responsables publics. A savoir : investiguer honnêtement leurs motivations personnelles, leurs affects, tellement visibles pour certains, au-delà de la sincérité de surface et constater ensuite plus objectivement la réalité de la question sectaire, afin d’éviter de construire des politiques publiques à l’emporte pièce, discriminatoires et parfois tragiques, à partir, à nouveau, de peurs, de frustrations ou d’ambitions personnelles.
Une médecine scientifique jusqu’au scientisme
Chacun, à travers sa propre expérience, est à même d’admettre que le processus de guérison a deux composantes : l’efficacité du soin prodigué et l’état d’esprit du malade, expression dont on conviendra qu’elle englobe la dimension spirituelle de chaque personne, le cas échéant. La première composante peut être évaluée de façon scientifique et statistique, la seconde dans une moindre mesure, puisque chaque être humain a un vécu différent qui échappe à toute science « dure » aujourd’hui, hormis pour les matérialistes extrémistes qui aimeraient réduire la vie intérieure à une succession de processus chimiques, mais qui sont loin, très loin d’une quelconque théorie crédible relative à la nature et l’action de la conscience humaine. En tout état de cause, ces deux composantes existent et il n’est pas possible d’en mesurer la part relative aujourd’hui. De plus en plus de malades attendent un accompagnement global, holistique, qui ne se réduise pas à une technique médicale (voir notamment « Sacrée médecine – Histoire et devenir d’un sanctuaire de la raison », Jean Baubérot, Raphaël Liogier, Entrelacs).
Même l’institution de santé publique reconnait cette réalité, mais avec une nomenclature et une pratique très restrictives. Agnès Buzyn, présidente de l’INCa (Institut National du Cancer) et auditionnée par le Sénat assure : « Il est admis que les soins de support qui aident à prendre en charge la personne dans sa globalité font partie intégrante maintenant du traitement du cancer, mais (…) on s’aperçoit que le champ d’application de ces soins de support fait l’objet parfois de certaines dérives d’interprétation : on intègre dans les soins de support des médecines qui sont de l’ordre de la médecine complémentaire voire de la médecine alternative ». Elle précise ce qu’elle entend par soins de support : nutrition, diététique, kinésithérapie, psycho-oncologie, prise en charge de la douleur et des soins palliatifs, accompagnement social éventuellement. La deuxième catégorie de médecines dites complémentaires est admise : « Des actes de soins qui ne vont pas s’opposer aux traitements conventionnels (…), qui ne mettent pas en danger les personnes », comme la sophrologie, la musicothérapie mais avec des réserves, car « il faut quand même retenir que ce ne sont pas des médecines évaluées ». La troisième catégorie, celle des médecines alternatives, est à proscrite : « [Des] médecines qui vont s’opposer aux médecines conventionnelles et qui vont mettre en danger les personnes soit par retard au diagnostic ou retard à la prise en charge, voire des contradictions du fait d’effets secondaires des traitements. Le principal problème, ce sont évidemment les médecines alternatives qui pour nous sont souvent des médecines qui rentrent dans le cadre des dérives sectaires ». Aucun exemple appartenant à cette catégorie n’est donné par Agnès Buzyn.
La présidente de l’INCa résume parfaitement le dilemme de l’institution de santé publique en constatant que :« Ces (…) médecines sont assez prisées tout de même par les patients. Si on regarde l’ensemble des médecines complémentaires / alternatives, 75% de la population y a recours au moins une fois dans sa vie (…) et 30% des patients atteints du cancer, voire peut-être la moitié (parce que certains n’en font pas part à leur médecin) vont faire appel à des traitements complémentaires ou alternatifs. Donc ça représente un vrai enjeu de santé publique.». S’agissant des raisons pour lesquelles les 30% de patients cancéreux ont choisi une médecine alternative, Agnès Buzyn précise : « 85% pour mieux supporter les traitements qu’on leur donne ; 27,5% pour traiter le cancer lui-même et donc non pas de façon complémentaire mais bien alternative (…), ce qui est pour nous un signal d’alerte ».
La nomenclature précitée est une façon de répondre superficiellement à la demande des patients en prétendant les protéger (ce qui est louable en soi) mais aussi une méthode d’exclusion des thérapies qui ne rentrent pas dans les paradigmes scientifiques actuels. Nous n’identifions pas l’ensemble des praticiens, dont la diversité des points de vue est assurément grande, avec l’institution de santé qui adopte, sans surprise en France, un mode de pensée et de fonctionnement jacobin (avec par exemple la définition de protocoles applicables sans discussion possible à tous les malades et un Ordre des médecins qui décide sans partage de l’orthodoxie médicale).
La médecine conventionnelle (lobby très puissant depuis que Napoléon a légiféré sur l’exercice illégal de la médecine en 1803, alors même qu’à cette époque la pratique médicale s’apparentait à du charlatanisme, voir Baubérot, Liogier ibid.) ne semble pas prête à reconnaitre – dans le sens d’une remise en question et d’une diversification sérieuses de ses axes de recherche – son niveau très moyen d’efficacité pour certaines pathologies, déni qui fait passer sa démarche de scientifique à scientiste. Les échecs sont cachés sous un marketing agressif ventant l’état de l’art et les progrès de la recherche (qu’il ne s’agit pas de nier dans certains cas) et à travers l’appel aux dons publics, le plus souvent sur le mode émotionnel (Téléthon et autres). Par ailleurs, cette médecine technicisée dite de pointe n’est plus supportable par aucun système de sécurité sociale étant donné son coût prohibitif.
En matière de cancer, chacun peut se forger sa propre opinion en comptant, parmi ses proches, ceux qui, atteints d’un cancer et soignés conventionnellement, sont décédés des suites de la maladie bien avant l’âge moyen raisonnable et en évaluant leur qualité de vie pendant le soin. Dans bien des cas, le constat risque d’être accablant même sans nier quelques progrès et l’intention de mieux faire (et cela sans parler des morts en relation directe avec la prise de médicaments qui rentrent dans le quota des pertes admissibles, comme à l’armée). Dans ce constat, il n’est porté aucune critique à l’encontre du personnel soignant qui est, la plupart du temps, consciencieux et dévoué et tente d’apporter l’élément humain dont la technique médicale elle-même est souvent dénuée.
La médecine conventionnelle doit élargir le spectre des médecines qu’elle qualifie de « complémentaires », sans les phagocyter ou les dénaturer, mais elle doit également accepter des axes de recherche novateurs, même s’ils ne rentrent pas dans la boite « conformes aux paradigmes établis ». A ce titre, il est intéressant de noter l’avis d’Ivan Krakowski, Directeur du service interdisciplinaire de soins de supports en oncologie au Centre Alexis Vautrin (CLCC de Nancy), auditionné par les sénateurs : « L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence d’efficacité ». La difficulté à prouver scientifiquement l’efficacité d’une pratique est de peu d’importance si elle produit des résultats chez certains patients. Si la prière ou la méditation sont efficaces pour certains, elles le sont, point (d’autant plus quand, à l’inverse, certains acteurs de la lutte antisectes prétendent que leur lutte se justifierait « même s’il n’y avait qu’un cas »). Il est improductif et irrespectueux de tenter de décrédibiliser ces pratiques en les qualifiant de « croyance ou superstition ». Lors des auditions, les thérapies alternatives, désignées comme pratiques sectaires, ont été jugées à plusieurs reprises comme étant sans aucune efficacité thérapeutique (une affirmation de Serge Blisko, par exemple) ; lorsque des résultats sont néanmoins constatables, d’aucuns parlent d’effet placébo. « L’effet placebo » est l’étiquette « scientifique » avec laquelle sont classées une partie des guérisons ne correspondant à aucun acte médical « actif » et donc dérangeantes ; ce devrait au contraire être une piste de recherche pour avancer sur la deuxième composante du processus de guérison. Décrivant l’effet placebo, Ivan Krakowski précise : « Il peut être extrêmement puissant. En cancérologie, il est tout à fait fréquent dans les études thérapeutiques d’observer un effet placebo de plus de 60% même contre des thérapeutiques tout à fait établies ».
Un rouleau compresseur écrase ceux qui essaient d’infléchir le cours figé des choses, comme le professeur Mirko Beljanski, désigné comme une « secte » à lui tout seul par les pouvoirs publics en raison de ses recherches avant-gardistes sur le traitement du cancer, autorités qui lancèrent un raid policier démesuré et indigne sur sa demeure. Plus récemment, le Docteur Moulinier a été condamné à une interdiction d’exercer parce qu’il pense utile d’adapter les protocoles de soins à chaque patient et d’y associer des médecines complémentaires jugées trop alternatives. Le lobby scientiste et marchand se défend becs et ongles.
Par l’intermédiaire de la MIVILUDES, l’instance de santé publique a trouvé désormais le meilleur cheval de bataille dont elle pouvait rêver : la lutte antisectes – même si, fort heureusement, on sent chez quelques praticiens de santé auditionnés une certaine prudence à adopter la rhétorique antisectes –. Toute pratique thérapeutique qui sort des sentiers battus pourra être déclarée sectaire, sans preuves, et mise hors d’état de nuire au monopole de la médecine conventionnelle. Selon Serge Blisko, c’est l’Ordre des médecins qui a communiqué à la MIVILUDES le nombre de praticiens appartenant à la « mouvance sectaire », malgré l’incompétence totale de cet Ordre pour définir ce qu’est ou n’est pas une dérive sectaire ; on est prié de croire que les membres de l’Ordre ont utilisé une méthode « scientifique » éprouvée pour arriver au nombre d’environ 3 000….
Lorsqu’il s’agit d’évaluer les dérives sectaires dans le milieu de la santé, les personnels du domaine, même parmi les plus formatés par la MIVILUDES comme Agnès Buzyn (l’INCa a diffusé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, en partenariat avec la MIVILUDES, une plaquette de prévention contre les dérives sectaires), restent totalement évasifs. Interrogée par le sénateur Stéphane Mazars sur les disciplines les plus susceptibles d’engendrer des praticiens peu scrupuleux, elle répond : « Au jour d’aujourd’hui, je n’ai pas de données objectives à vous rapporter. On a quelques témoignages de patients (…) mais qui sont relativement peu alarmants, puisqu’il y en a très peu quand même. (…) Le problème, c’est que je pense que les gens qui vont glisser vers ces médecines alternatives n’en parlent pas ». Quant au professeur Bernard Leclercq, Directeur général du Centre Oscar Lambret (CLCC de Lille), également auditionné, il précise : « En 33 ans d’expérience contre le cancer, je n’ai jamais été confronté directement personnellement à un problème de dérives sectaires dans les Centres de lutte contre le cancer. Il y en a peut-être eu, mais je ne les ai pas vues ; elles étaient discrètes et elles ne m’ont pas touché directement dans mon exercice ».
Ce combat d’arrière-garde antisectes, rétrograde et typiquement français, concerne, faut-il l’espérer, de moins en moins de personnels soignants qui, sur le terrain, constatent les insuffisances de la médecine conventionnelle (c’est dans ce personnel que l’on constate un taux de vaccination faible, par exemple). C’est avec les patients et leurs nouvelles attentes qu’ils pourront orienter la pratique médicale vers une démarche plus scientifique (c’est-à-dire effectivement capable de remettre en cause des paradigmes endurcis en examinant des idées novatrices) et plus holistique - mot blasphème dans le monde scientiste, couramment remplacé par l’expression moins polémique de « médecine intégrative » – (voir un reportage d’Arte sur le sujet).
Il ne faudrait cependant pas laisser la main trop longtemps aux apparatchiks de l’antisectarisme, étant donné leur pouvoir de nuisance. C’est le sursaut de lucidité que l’on attend des sénateurs dans leur rapport final.