Voici quelques vers tirés de la Quintessence de la vérité ultime, texte védântique antérieur à Shankara (VIIIe siècle). Abhinavagupta en donné sa propre version, traduite par Lilian Silburn.
La réalité suprême, c'est ce qui existe toujours,
Sans destruction ni croissance, sans mort ni meurtrier,
Sans lien ni délivrance.
A part cela, tout est mensonge[1]. 69
Connaissant ainsi la Nature et l'Esprit[2],
On met en pièces le filet des constructions imaginaires.
Se délectant du Soi, établi dans la paix,
On devient absolu[3]. 70
Le roseau, le jonc et le bambou[4] meurent
Une fois engendrées leur fleur respective.
De même les choses, quelle que soit leur nature,
Périssent quand elles réalisent leur nature[5]. 71
Quand le nœud de l'ignorance a été tranché,
Quand la totalité des doutes a été anéantie,
Quand (même) la vertu meurt (dans la réalisation du Soi),
Et quand le germe des renaissances est consumé,
On atteint le Sauveur[6], le Soi suprême. 72
Il n'y a pas de royaume de la délivrance,
Ni de voyage vers un ailleurs.
Les sages savent que la délivrance
Est (seulement) le dénouement de ce nœud : l'ignorance. 73
Ayant ainsi réalisé que (tout) ceci est sans réalité,
Que cette présence (appelée) "monde" est l'illusion magique de l'Omniprésent,
L'attachement à l'expérience conditionnée par les couples de contraires[7] disparaît,
Et l'on devient serein. 74
Dès que l'Esprit a réalisé que la Nature est différente (de lui),
Il est affranchi de toutes les (conséquences inéluctables) des actes,
Même s'il reste en plein milieu du sa?sâra,
Tout comme les eaux (d'un étang plein de boue n'adhèrent pas) à une feuille de lotus. 75
David Dubois
[1] An?ta. Terme ancien, védique : "ce qui est faux, mensonger, trompeur".
[2] Autrement dit, le sujet et l'objet.
[3] Litt.: "on devient isolé, abstrait". On se reconnaît comme pure conscience séparée de, abstraite de, tous les objets possibles.
[4] Je crois repérer quatre plantes, mais j'ai bien du mal à les relier à des végétaux connus. Les noms scientifiques n'étant guère parlants...
[5] Atteindre la perfection, c'est cesser d'être imparfait. Ce truisme veut justifier l'idée que l'éveil spirituel est une sorte de mort, la mort du" vieil homme".
[6] Glose de Hari, l'un des noms de Dieu pour les vishnouïtes.
[7] Le chaud le froid, le plaisir la douleur, etc.
Shankara et ses principaux disciples. Petit temple situé dans l'enceinte de Pashoupatinâth, Kathmandou