Dans le chapitre intitulé"L'homme miroir de
l'univers" de son Livre
du sage, Charles de Bovelles propose une vision à la fois
traditionnelle et audacieuse des rapports entre l'homme et le monde.
D'abord, "L'homme n'est pas une chose parmi les autres". Il est, en
effet, tel un miroir placé au centre de toutes choses, situé "au lieu de
nulle chose", centre ou rien n'est, et où tout peut apparaître.
Grâce à ce miroir central, l'auteur peut expliquer ainsi le rapport de l'être
et de l'apparence :
"La vraie place de l'homme est [...] au lieu de nulle chose, où rien n'est
en acte, en ce non lieu où cependant toute apparence doit se produire. Toutes
les réalités sont en effet au pourtour du monde et elles peuvent apparaître
en son centre. Où elles sont toutes, elles n'apparaissent pas. Où elles
peuvent apparaître et apparaissent, elles ne sont pas" (trad. P. Magnard).
De même qu'un miroir inverse tout, ce miroir qu'est l'homme permet à toute
chose de passer de la puissance à l'acte, de l'être à l'apparaître. Parce
qu'ici, au centre, je ne suis rien, tout peut s'y manifester comme en un miroir
limpide. Eckhart dit aussi que l'œil n'ayant aucune couleur en propre, il peut
les accueillir toutes.
Ce miroir, n'est-ce pas la conscience, ou plutôt l'espace de conscience dont
j'ai l'intuition, la vision directe, lorsque je retourne la flèche de mon
attention de 180 degrés ?Grâce à la conscience, en elle, l'être en puissance
s'actualise, se manifeste, d'abord comme être, puis comme vie, puis comme
sensation, puis comme pensée.
La raison d'être de l'homme, du sujet, est de donner un lieu où l'univers
puisse se manifester, vivre et grandir, une "clairière" en laquelle
l'être peut se récapituler. L'homme est ce lieu vide ou tout s'écoule et passe
progressivement dans une perfection éternelle, "banquet sans fin" du
sage.
Avant Pascal, Bovelles affirme que l'homme, petit par son être, est illimité
par sa conscience :
"Si le monde embrasse tout, il ne sait ni ne connaît rien. Si l'homme est
infime au point de n'être rien, il sait et connaît tout" (p. 88, trad. P.
Magnard).
Si les points de vue objectifs et subjectifs semblent opposés au point d'être
inconciliables, c'est parce que l'homme est le miroir en lequel l'un s'inverse
en l'autre. Il est "comme un universel entremetteur", un nœud, une
liaison entre le grand et le petit monde, le macro et le microcosme.
On rencontre des idées remarquablement analogues dans les spéculations d'Abhinavagupta
sur la conscience-miroir en laquelle tout s'inverse, le sujet-cause de la
matière devenant un objet-effet de cette matière, et la conscience, cause
première, se manifestant en dernier, de même que s'inversent, dans l'orbe d'un
miroir, le haut et le bas. Enfin, dans la Reconnaissance, la conscience est cet
Acte par lequel l'être devient manifestation, existence, tout comme chez
Bovelles, l'homme est catalyseur de l'être en apparences.