Ce billet m'a été inspiré par une question posée par un visiteur sur notre forum. Remarquant que la plupart des contributeurs de ce site sont grandement influencés par l'orient, notre visiteur pose la question de savoir s'il n'y aurait pas, ou plus, de spiritualité en occident ?
Il est vrai que je suis moi-même tout rempli de spiritualité orientale. J'ai appelé ce site, le Monde d'Omkar, pas le Monde du Verbe ;-) Cependant je suis convaincu qu'il n'y a qu'une spiritualité, et que l'orient et l'occident partagent un fond commun, identique, ce que ce billet va s'efforcer de faire ressentir.
Il est regrettable qu'en occident la lecture des Ecritures manque de profondeur et que l'étude des textes soit carrément découragée. En témoigne une actualité que j'ai récemment publiée "Seule l'Eglise peut interpréter la Bible..." rapportant que le pape Benoit XVI rappelait que l'interprétation des Ecriture Saintes revenait à l'Eglise seule. C'est assez culotté quand on songe qu'une partie des Ecritures Saintes existaient avant l'Eglise Catholique, avant L'Eglise tout court, avant Jésus... Cette attitude dogmatique est affligeante, et donne au final l'impression d'une spiritualité occidentale bien pauvre, si l'on se limite aux interprétations "officielles et autorisées" des textes... Mais bon, je dis ça sans vouloir blesser personne et sans oublier que l'homme est l'homme, et qu'ailleurs c'est souvent pareil, hélas. Ainsi j'ai bien souvent été le témoin de massacres d'Ecritures et de Traditions indiennes aux seuls fins de bien faire fonctionner le tiroir-caisse. Passons... et focalisons nous sur l'essentiel, sur le beau, et essayons d'extraire des Textes leur sustantificque mouelle, comme disait Rabelais :-)
L'essence de la spiritualité
Voyons d'abord ce qu'est l'essence de la spiritualité, le but de la recherche spirituelle en Inde. Je dis l'Inde parce que je connais un petit peu. J'aurais sans doute pu (ou du) dire l'Orient. En Inde, le but de la spiritualité est la libération de la souffrance terrestre et le retour de l'être dans la conscience ou dans la Lumière Divine. Ce but est atteint lorsque la respiration cesse, et, s'il existe de nombreuses voies pour parvenir à ce but et à cet état, une des voies majeures est le Yoga. De fait les textes classiques du Yoga sont sans ambiguïté et dans le Hatha Yoga Pradipika nous trouvons:
"Celui qui semble endormi en état vigile, ayant suspendu son inspiration et son expiration, est un être libéré, assurément" (IV-112)
Dans les Yoga Sutra de Patanjali, ouvrage de référence s'il en est et dont le titre peut se traduire par "mode d'emploi du Yoga", ou "Fil conducteur du Yoga", le travail du souffle (pranâyâma) et le résultat qui en découle sont décrits ainsi:
"Le pranâyâma est la brisure du cycle d'inspir et d'expir" (II - 49)
"Par le pranânyâma, ce qui couvre la lumière disparait." (II - 52)
L'essence de la spiritualité indienne est le travail du souffle qui aboutit à l'arrêt de celui-ci. Ramener la spiritualité au souffle dérange souvent l'occidental qui volontiers associe le mot spiritualité à l'esprit, et finalement à la compréhension, l'intelligence, l'élévation d'esprit... en oubliant que le mot spiritualité vient du latin spiritus qui, avant tout, signifie souffle.
Dans les faits
Les yogin qui se sont exprimés sur leur pratique confirment le message des Ecritures indiennes. Ainsi Paramhansa Yogananda dans son ouvrage "Autobiographie d'un Yogi" reformule Patanjali II-49 ainsi: "La libération peut être atteinte par le pranâyâma qu'on accomplit en disjoignant le cours des inspirations et des expirations.", puis il écrit:
"En rompant la chaine des respirations qui rive l'âme au corps, le yoga prolonge la vie et élargit à l'infini le champ de conscience.
Le dormeur, sans le savoir, se recharge inconsciemment dans le réservoir d'énergie cosmique dispensatrice de vie. A l'inverse du dormeur, le yogi réalise consciemment et de plein gré un processus simple et naturel de même ordre. Le yogi use de sa technique pour saturer et nourrir de Lumière impérissable les cellules de son corps, les conservant ainsi dans un état d'aimantation spirituelle. Il rend la respiration superflue, sans pour cela entrer sans un état négatif de sommeil, d'inconscience ou de mort. "
Les yogin en général parlent peu et écrivent encore moins. Mais il existe des exceptions. Ainsi Lahiri Mahasaya, immense yogi indien, a consigné journellement dans des cahiers son travail yogique et les résultats de celui-ci. Ces cahiers n'ont été retrouvés qu'après sa mort. Lahiri Mahasaya n'en avait jamais mentionné l'existence de son vivant, ce qui est un bon gage de l'authenticité de leur contenu. Dans ces cahiers, il écrit, le 16 août 1873
"Aujourd'hui ma respiration a stoppé pendant longtemps. Pendant ce temps j'étais l'Ame-Soleil-Dieu"
Puis à la fin de cette même année 1873 il écrit:
"Avec l'arrêt du souffle, un bonheur intense survient et la splendeur lumineuse est visible".
Pas seulement en Inde
Cette notion d'achèvement spirituel lié à l'arrêt de la respiration n'est pas spécifique à l'Inde. En Chine nous pouvons lire, dans le Secret de la Fleur d'Or:
"On a un sentiment de clarté et d'infini [...] Le pouls s'arrête et l'haleine cesse. C'est l'instant de la véritable union créatrice dont il est dit : La lune rassemble les dix mille eaux. Au milieu de l'obscurité, le cœur céleste commence soudain un mouvement. C'est le retour de l'unique lumière"
Et ce n'est pas non plus spécifique à l'orient. Sainte Thérèse d'Avila, sainte bien de chez nous écrit dans son livre Les Demeures de l'Ame, à la sixième demeure chapitre 4:
"Pour en revenir, donc, à ce que je disais, l'Epoux ordonne la fermeture des portes des Demeures, et même celles du château et de l'enceinte ; car lorsqu'il veut enlever cette âme, et la ravir, elle perd la respiration."
Dans la Bible aussi
Seriez vous surpris d'apprendre que la question de l'achèvement spirituel lié à l'arrêt du souffle est écrit dans la Bible ? C'est pourtant le cas. Puisque le Yoga de l'Inde est une technique qui s'apprend, et se maitrise, regardons un passage de l'Evangile selon Saint Matthieu, Matthæus, mot qui en grec a donné mathesis, matheseos, étude , connaissance, de mathanein, apprendre, s’instruire. Et regardons ce texte sous l'éclairage du Yoga. Après tout, le Yoga est antérieur aux Evangiles et le souffle est antérieur à toutes choses. N'en déplaise aux dogmatiques, sentons nous donc autorisés à lire et interpréter la Bible ;-)
Dans Matthieu V-2 V-3 nous lisons
"V-2 Puis ayant ouvert la bouche, il les enseigna et dit"
"V-3 Heureux les simples d'esprit car le royaume des cieux est à eux."
Et l'interprétation officielle de ceci est que celui qui est sans orgueil, qui a un cœur simple se rapproche du divin. Qu'il ne faut pas confondre intelligence et bon sens, que la foi n'est pas une affaire de raisonnement, etc.
Autant d'interprétation qui ont leur valeur d'ailleurs. Mais il serait bien dommage de s'arrêter là, à une lecture simpliste si j'ose dire ;-). Toutes les Ecritures ont plusieurs niveaux d'enseignements. Plus on creuse, plus c'est intéressant :-) Reprenons Matthieu V-3, en latin:
Beati pauperes spiritu
Et regardons chaque terme.
Beati. On nous traduit ça par heureux. Mais si cela était, le terme latin employé serait felix, et non beatus, mot beaucoup plus fort, et qui évoque une expérience plus puissante, qui fait immédiatement penser à ce qu'a écrit Lahiri Mahasaya "un bonheur intense"
Pauperes, c'est pauvre, non simple. Il est vrai que souvent la phrase est rendue en français par "heureux les pauvres en esprit"
Et enfin Spiritu. De Spiritus, qui signifie non l'esprit mais avant tout le SOUFFLE.
Si l'on met tout bout à bout, Matthieu V-3 se lit:
La béatitude est pour ceux qui sont pauvres en souffle, et le royaume des cieux leur appartient.
Et nous retrouvons, très exactement, le même message qu'en orient :-)
Cette lecture est-elle trop osée ? Non. Je vous invite à lire la Bible telle que traduite par André Chouraqui. Celui-ci s'est attaché à traduire les textes sans chercher à faire des phrases française qui "coulent bien", mais en donnant une traduction aussi fidèle que possible. C'est du coup assez souvent difficile à lire comme c'est le cas pour l'Evangile selon Matthieu qui a été écrit en araméen, langue sémitique, mais ça n'en est que plus intéressant. Voici la traduction de V-3 selon André Chouraqui
"En marche, les humiliés du souffle! Oui le royaume des cieux est à eux!"
Il est plaisant de lire ici souffle et non esprit :-) Humilier c'est abaisser. Nous retrouvons la notion de ralentissement du souffle. Quand au terme "En marche", c'est le mot hébreu ashrei qui a plusieurs sens:
- invitation à la joie
- tu te réalises
- tu marches dans la bonne direction
Nous avons donc le même message en orient et en occident. Plus le souffle se ralentit, plus le divin se rapproche. Lorsqu'on le souffle est arrêté, lorsque cette pauvreté totale, tant prônée par l'Eglise, est atteinte, le but est atteint.
N'en déplaisent aux interprétateurs officiels, les Ecritures d'orient et d'occident convergent. Et les Ecritures d'occident sont elles aussi très profondes. La spiritualité, la vraie, c'est à dire le travail du souffle, y a toujours été écrit et décrit. C'est juste que de nos jours nous avons un petit peu perdu tout ça de vue... mais il ne tient qu'à nous de le redécouvrir.
Bon... bien sûr les esprits chagrins et contradicteurs diront: "mais ce n'est qu'un exemple, ce n'est pas significatif!"
Il y a d'autres exemples et ce n'est pas la peine de chercher bien loin. Pensons que celui dont "le pouls s'arrête et l'haleine cesse" est dans un état de "presque mort", et après Matthieu V-3, lisons, selon Chouraqui, Matthieu V-4:
"En marche les endeuillés! Oui, il seront réconfortés"
N'est-ce pas fascinant ?
?