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Au coeur du silence

Blog de : daviddubois


J'ai essayé d'évoquer l'expérience du silence, toile de fond de l'expérience mystique.

Ce silence, quoique vivant, est simple, calme, nu et transparent, comme un ciel limpide illustré par un soleil couchant (ou levant !).

Mais il y a une autre dimension. A côté de cette expérience de lumière silencieuse et simple, il faut en effet distinguer celle, affective, du "cœur".

Ces deux aspects sont inséparables au sens où ils sont présents dans toute expérience. Néanmoins, ils forment comme deux pôles de la vie intérieure, entre lesquels se déploie le spectre des expériences singulières, innombrables et le plus souvent indicibles.

Bien que ces deux dimensions soient inséparables, elles sont parfaitement distinctes, au sens où l'on peut faire l'expérience de l'une, tout en demeurant parfaitement étranger à l'autre. L'expérience du silence est ainsi "athée", bien qu'elle ne soit pas nécessairement étrangère aux croyants. L'expérience du "je suis" ou du "cœur" est ainsi la source subjective de la croyance en un Dieu personnel, bien que cette expérience ne conduise pas nécessairement à une telle croyance puisqu'on peut fort bien l'interpréter autrement que comme un contact avec le Dieu personnel des croyants.

Ce que j'appelle ici "cœur" désigne ce saisissement que l'on éprouve au centre de la poitrine et qui peut se décrire comme félicité, amour, joie. La sensation - car cette dimension touche bien plus au ressenti que l'expérience du silence simple - est celle d'embrasser quelqu'un, de s'évanouir, de se laisser tomber "en arrière", de reposer sa tête sur une poitrine réconfortante, de recevoir une caresse, mais aussi d'éternuer, de perdre connaissance, de se laisser flotter, habiter, posséder, enlever, etc. Mais ici, ce ressenti est indépendant de ces circonstances. On éprouve une sorte de corps intérieur au corps habituel, comme un autre nous-mêmes qui serait en nous, toujours, mais presque toujours oublié.

Outre qu'elle est affective, cette dimension est toujours accompagnée d'une intense prise de conscience de soi sur le mode du "je suis je", bien que, paradoxalement, cette conscience puisse être extrêmement ténue. C'est aussi ce que nous ressentons spontanément quand nous pensons "je" sans ajouter aucun "cela".

Bien entendu, il existe d'infinies nuances sur ce nuancier infini qu'est la vie intérieure.

Un tableau :

Silence : Félicité

Être simple  essaisissement

Cognitif : Affectif

Connaissance : Volonté

Vision : Toucher

Témoin : Contact intime

Pas de centre : Sensation d'un centre

Être simple sans retour : Prise de conscience

"Cela" : "Je suis je"

Lumière - prak??a : Prise de conscience - vimar?a

Bouddhisme : Hindouisme

Impersonnel

Personnel : Etc.

Etc.

Le dharma du Bouddha privilégie bien sûr la première dimension, celle du silence impersonnel, car son acte fondateur consiste à se méfier de toute subjectivité. Cependant, elle est bien présente, notamment sous les formes essentielles de la compassion, de la "fierté divine" et de la félicité-vacuité.

Ces deux pôles, de par leur opposition relative, animent la vie intérieure et la font croître "comme les deux ailes d'un oiseau".

Exemple d'application : dans les recueillements sur le souffle décrits dans le Trika, le repos à la fin de l'expiration ("à la fin des douze largeurs de doigt") est souvent accueilli comme une évidence. Le repos à la fin de l'inspiration (dans le centre-"cœur"), en revanche, est souvent ressenti commemoins évident. En réalité, ces deux "repos" correspondent, respectivement, au silence et au cœur. Or, de manière générale, l'expérience du silence est plus évidente pour la plupart des gens car elleparaît davantage "neutre". L'expérience du cœur, de par sa texture affective et, donc, émouvante,se trouve être plus souvent rejetée. Cela étant, les deux sont à égalité, aucune n'est supérieure à l'autre. Elles sont simplement complémentaires et inséparables, bien que l'une puisse prédominer dans tel ou tel état ou expérience.

David Dubois La Vache Cosmique